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Que vaut en fait cette belle ordonnance ? C’est toute l’autorité, tout le sens de la tradition que cette question met en cause.

Une observation d’abord. Malgré leur ton dogmatique, leur allure systématique, il n’est pas besoin de serrer de bien près les prescriptions pour s’apercevoir qu’une minutieuse recherche de détails très ténus y-masque bien des incertitudes, bien des lacunes. L’impérieux exclusivisme du langage y dissimule la faiblesse de l’autorité et le relâchement de la pratique. Cela se voit ailleurs que dans l’Inde. Les sanctions y sont souvent flottantes, la précision toujours médiocre. Plus graves encore sont les contradictions ; directes ou indirectes, elles abondent d’un passage à l’autre.

Le système ne comporte que quatre castes : il n’y en a pas de cinquième, nous assure-t-on. Et voici que, du mélange de ces castes, envisagé dans les diverses hypothèses imaginables, on fait sortir des castes nouvelles, les « castes mêlées », le degré de respectabilité assignée à chacune étant d’autant plus humble qu’elle suppose l’association d’une femme de caste plus haute avec un homme de caste plus infime. Ce n’est pas tout. Quoique issus d’un couple de même caste, des enfans peuvent déchoir, si l’on néglige les cérémonies obligatoires. Ils forment la classe des Vrâtyas. Mais, suivant qu’ils sortent de Brahmanes, de Kshatriyas ou de Vaïçyas, les Vratyas se ramifient, avec une symétrie qui décèle bien une ordonnance artificielle, juste en autant de castes distinctes. De toutes ces sections on nous donne les noms ; on nous renseigne sur les métiers qui conviennent à chacune. Ce ne sont pourtant là à coup sûr que des spécimens ; ces mélanges, ces complications en supposent bien d’autres ; un des recueils a certainement raison de déclarer innombrables les sectionnemens qui prennent ainsi naissance. Que nous voilà loin de la simplicité théorique !

Les quatre castes pourraient du moins paraître solidement enfermées dans la spécialité de leurs fonctions. Mais voici affluer les correctifs ! Chacune des castes supérieures est d’abord autorisée à embrasser le mode de vie propre à celle qui la suit dans l’ordre hiérarchique. Cette dérogation est limitée aux cas où la détresse l’impose. Qu’on ne s’y trompe pas, il ne s’agit nullement de cas de nécessité exceptionnelle, mais de faits parfaitement ordinaires ; ils sont simplement voilés, pour l’honneur du principe, d’un honnête prétexte, d’une réserve que l’on prétend faire survivre à la faillite de la théorie. Parcourons la liste des brahmanes qu’elle répute indignes d’être conviés aux repas funèbres : voleurs, bouchers, serviteurs à gages, acteurs, chanteurs,