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Né d’une femme de caste moins haute, le fils tombe dans la caste de sa mère ; sa situation dans le partage du bien paternel s’en trouve singulièrement amoindrie. Il faut donc que la première femme tout au moins soit de même caste que l’homme. Il est d’ailleurs interdit de se marier soit dans le gotra de son père, soit dans la parenté proche de sa mère. En ce qui concerne la nourriture, la distinction entre les alimens permis et réprouvés est détaillée avec un luxe encombrant ; l’usage des liqueurs fermentées est condamné comme un des crimes les plus inexpiables. Le seul regard d’un homme de basse caste suffit à polluer un repas, et ce n’est qu’en vertu de tolérances exceptionnelles qu’il est parfois permis de recevoir la nourriture de ses mains. Ses dons mêmes, — et je crains, à vrai dire, que cette règle n’ait subi plus d’une entorse, — doivent être rigoureusement refusés par le brahmane. Plusieurs des coutumes les plus particulières trouvent ici leur consécration : il est ordonné de marier les filles avant la puberté, interdit aux veuves de contracter un second mariage.

La sanction suprême est l’exclusion de la caste. Elle n’est point ordinairement sans appel ; tout un code d’expiations graduées permet à ceux qui s’y soumettent de rentrer dans leur milieu social. Mais le nom même des fautes graves (pâlaka, « ce qui fait tomber », et oupapâtaka) affirme bien que leur effet naturel est de faire déchoir ceux qui les commettent de la caste à laquelle leur naissance les assignait.

On le voit, la concordance est frappante avec les données que recueille l’observateur du présent. Il y a pourtant une différence capitale. Si un fait saute aux yeux dans la vie réelle de l’Inde, c’est le nombre énorme des castes, l’entre-croisement et le fouillis où elles se mêlent. Pour la théorie, il n’y a que quatre castes, varnas : les Brahmanes, prêtres et savans ; les Kshatriyas, guerriers et nobles ; les Vaïçyas, agriculteurs et marchands ; les Çoûdras, classe servile, vouée à tous les bas offices. Les Brahmanes n’ont d’autre devoir que d’étudier et d’enseigner le Véda, d’offrir des sacrifices, de faire et surtout d’accepter des dons ; aux Kshatriyas il appartient d’exercer le commandement, de protéger le peuple, d’offrir des sacrifices par le ministère des brahmanes et d’étudier le Véda ; aux Vaïçyas, d’élever le bétail, de cultiver la terre, de commercer, de faire l’aumône, sans négliger les rites sacrés ni l’étude des écritures ; les Çoûdras n’ont qu’une seule tâche essentielle : servir les castes supérieures. En dehors de ce cadre, il n’y a que des populations barbares ou méprisées, sans accès à la vie religieuse et sociale du monde brahmanique, étrangers ou Mlecchas.