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éluder pour les millionnaires, qui ont ou peuvent avoir des relations de banque au dehors ; si bien que les grosses fortunes ne déclareraient que ce qu’elles voudraient, malgré toutes les inquisitions possibles, comme elles font d’ailleurs actuellement à l’étranger.

Il est d’autres moyens d’atteindre la matière imposable, tout en introduisant une dose plus grande d’équité dans les prétentions du fisc, comme se propose de le faire M. le ministre des finances par le projet de loi relatif aux droits de succession et aux ventes d’immeubles, qu’il vient de déposer sur le bureau de la Chambre. Lorsqu’il présidait, l’an dernier, la commission du budget, M. Burdeau eut occasion de faire remarquer, à l’encontre des partisans de l’impôt sur le revenu, que « pour toutes les réformes accomplies sous la République, on n’avait pris d’autre base que les revenus. C’est dans cette voie, disait-il, qu’il faut persévérer, en cherchant à saisir de plus en plus les signes exacts et tangibles de la richesse. »

C’est ce qu’il fait lui-même, aujourd’hui qu’il est chargé de la bourse publique. Sa proposition a un double but : déduire le passif dans la perception des droits de succession, dégrever de près de moitié les droits de mutation à titre onéreux qui frappent les immeubles ruraux. Pour compenser la moins-value de 90 millions environ qui en résultera pour le Trésor, le ministre propose une élévation du timbre des quittances pour les sommes importantes, et surtout une élévation des droits de succession, qui seraient désormais de 1, 25 à 1, 75 pour 100 en ligne directe, et deviendraient sensiblement plus forts en ligne collatérale. On demande à ces derniers un supplément de 40 à 50 millions tandis que les successions entre ascendans et descendans paieraient à l’État une trentaine de millions de plus qu’elles ne font aujourd’hui. Ce projet mérite d’être accueilli avec faveur, parce que l’impôt sur l’héritage, frappant les biens à leur passage d’une main dans une autre, est en somme l’un des moins lourds qu’il y ait, à la condition de ne pas dépasser une certaine quotité, au-delà de laquelle il encouragerait trop évidemment la fraude.

S’il n’était oiseux de recommander une extrême prudence dans les remaniemens que l’on projette d’apporter au budget, nous conseillerions, à nos représentans de méditer l’exemple de la Hollande, dont la situation financière s’est fort embrouillée depuis quelques années à la suite des expériences trop hâtives auxquelles s’est livré le gouvernement de la Haye.

Le cabinet de M. Tak van Portvliet, que ses ennemis accusent de ne pas se dégager des compromissions avec le socialisme d’État, avait, il faut l’avouer, pris à tâche de le satisfaire lorsque M. Pierson fit voter l’impôt actuel sur le capital, dont nous avons cet été entretenu nos lecteurs. Cet impôt a été appliqué pour la première fois au mois de mai dernier ; il était évalué d’avance à la somme de 18 millions de francs