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2 pour 100, vous faites peut-être une œuvre d’égalité apparente, mais vous ne faites certainement pas aux idées de justice sociale une part assez large. »

Voilà qui n’est pas contestable, et l’orateur en déduit qu’il serait sage à la France républicaine d’introduire « avec prudence, sans doute, et sans troubler dans son ordonnance le système général de nos impôts directs », ce principe de l’impôt progressif qui reçoit depuis plusieurs années son application dans des pays comme l’Angleterre, l’Allemagne ou la Suisse. Nous ne saurions partager à ce propos les espérances de ceux qui croient qu’effectuer cette réforme serait répondre de la meilleure façon aux déclarations utopiques des socialistes. Pour les socialistes, l’impôt personnel et progressif sur le revenu n’est qu’un instrument de transition en vue d’arriver à l’abolition de la propriété individuelle ; quant à se flatter que l’établissement de cet impôt entraverait le développement du socialisme, on remarque ; au contraire qu’en Angleterre et en Allemagne surtout le socialisme fait des progrès immenses et qu’en Suisse, s’il a subi un temps d’arrêt aux dernières élections générales, il a si bien appliqué l’impôt sur le revenu que, dans certains districts, il le fait payer tout entier par un seul propriétaire.

Quelque hostile que l’on soit du reste au principe de la progressivité de l’impôt, chacun sait qu’à Paris l’impôt progressif sur les loyers ne soulève aucune protestation. On objecte que la progressivité de cette taxe n’est qu’apparente parer que les gens riches ou aisés consacrent à leur loyer une portion beaucoup moindre de leur revenu que les personnes d’une situation plus modeste. Ce n’est nullement exact, en ce qui concerne les bases de l’impôt parisien, qui frappe par exemple d’un droit de 6 fr. 50 pour 100 les loyers réels de 500 à 750 francs et d’un droit de 12 fr. 30 pour 100 les loyers réels supérieurs à 1 370 francs. Personne n’imagine que, dans le budget des individus logés pour 1 370 francs, le loyer représente seulement le dixième ou le huitième du revenu, tandis que les loyers de 700 francs absorberaient le cinquième ou même le quart du revenu des familles qui paient annuellement cette dernière somme.

L’impôt est donc bien réellement progressif et il l’est d’autant plus que les loyers inférieurs à 500 francs, dont le nombre est d’environ 100 000 sur 250 000 logemens que contient la capitale, sont absolument exonérés de toute taxe. Il suit de là qu’à Paris le possesseur d’un revenu de 2 000 francs, pour prendre les chiffres donnés par M. Cavaignac, ne paiera absolument rien comme impôt direct, et que le possesseur de 200 000 francs de rente, auquel on peut supposer un loyer réel de 25 000 francs paiera, de ce chef seulement, 2,460 francs d’impôt mobilier.

Non seulement la progressivité de l’impôt, en elle-même, n’a rien qui nous choque, mais, comme M. Cavaignac, nous la trouvons