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l’adultère[1]. » Tel est le sophisme qu’il s’agissait de dénoncer. Il semble qu’aujourd’hui et pour un temps la démonstration soit faite. Et nul ne songe à alléguer d’excuses en faveur de la femme coupable. Mais on recommence à invoquer pour elle le pardon.

C’est M. Dumas qui a donné le signal ; et c’est, ici encore, son nom qu’il faut citer, puisque, aussi bien, dans tout ce qui touche aux rapports des sexes, il n’est guère de question qui ne l’ait inquiété, de difficulté qu’il n’ait aperçue, et de théorie qu’il n’ait pour le moins esquissée. Sous forme paradoxale et sans avoir l’air d’y tenir, il lance dans Francillon l’idée qu’il pourrait bien y avoir égalité entre l’homme et la femme dans l’adultère. Et parce qu’il se rend bien compte, comme moraliste, qu’il avance une énormité, et, comme auteur dramatique, qu’il fait violence à l’opinion du public, il se contente d’autoriser de l’exemple du fantaisiste Sire de Pontamafrel la thèse de la réciprocité. — Dans les dernières pages de Crime d’Amour, le héros de M. Bourget s’étonne de se trouver sans colère contre la maîtresse dont la trahison l’avait fait souffrir tant. — L’une des nouvelles de Guy de Maupassant, Allouma[2], se termine par cet aphorisme qui en résume la signification : « Avec les femmes il faut toujours pardonner… ou ignorer. » — Une nouvelle de M. Paul Margueritte, intitulée : Après le divorce[3], nous montre deux époux qui, après avoir demandé et obtenu le divorce, comprennent qu’ils n’ont pas cessé de s’aimer, songent à se reprendre, reculent devant cette solution inattendue. On emprunterait à des livres d’hier bien d’autres exemples encore et qui prouvent que cette théorie du pardon est, comme on dit, dans l’air.

Elle s’est développée en ces derniers temps sous l’influence des romans russes. C’est une des formes multiples de cet évangélisme qui nous est venu du Nord. Cet évangélisme russe ne serait-il pas d’ailleurs tout simplement une réapparition dans la littérature de notre vieux romantisme ? Cela est probable ; et cette migration des idées littéraires, grâce à une théorie récente, nous est connue. Elles prennent naissance sur un point du globe, puis elles commencent leur voyage sous d’autres cieux ; elles se modifient suivant les milieux, se chargent de pensée, se transforment ou se déforment pour revenir à leur pays d’origine, les mêmes toujours et pourtant différentes. C’est ce qui est arrivé pour ce fonds romantique que nous n’avons pas reconnu d’abord et à qui nous avons fait si bon accueil grâce à son déguisement exotique. Quoi qu’il en soit, le point de vue auquel se plaçaient les écrivains s’est trouvé soudain changé. Tandis qu’ils n’avaient, trop longtemps, jeté sur l’humanité qu’un regard dur et hostile, ils se sont repris de

  1. Préface de la Dame aux Camélias.
  2. Dans la Main gauche.
  3. Dans le Cuirassier blanc.