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I

Quelle est la force qui l’a suscitée ? Est-ce la curiosité ? est-ce une variété de l’insignifiante maladie des bibliophiles ? le goût des livres, pourvu qu’ils soient rares ; la passion des textes, pourvu qu’ils soient ignorés ?

Ou bien, est-ce enthousiasme sentimental pour le moyen Age ? Est-ce une survivance du romantisme ? le paradoxe des scolastiques et des féodaux qui se réfugient vers ce lointain passé par dégoût et par inintelligence du présent ? l’engoûment béat de ces critiques qui déplorent la Renaissance et qui ne sauraient parler de la Chanson de Roland sans la comparer à l’Iliade, ni du Mystère de la Passion sans dauber sur la tragédie classique ?

Serait-ce piété filiale ? le culte des pensées de nos ancêtres, enfantines et risibles, vénérées pourtant ?

Ou bien encore, serait-ce une mode d’importation germanique ? une sorte d’émulation patriotique ? le regret de voir nos antiquités nationales restaurées par des étrangers, par des Allemands surtout ?

Certes, ce sont bien là, pour une petite part, les fermens de la Société des Anciens Textes : si l’on analysait les sentimens qui ont attiré ; vers elle tel ou tel de ses membres, on y retrouverait ces divers points de vue dont, à vrai dire, presque aucun n’est tout à fait illégitime. Parmi ses membres actuels, nous connaissons de purs bibliophiles, et l’on ne saurait nier que le goût du curieux et du rare n’ait parfois pu rendre à la science quelques services menus et accidentels. Nous connaissons aussi, dans le nombre, des admirateurs exclusifs du moyen âge, et il est bon qu’il s’en trouve quelques-uns, car rien de grand ne s’accomplit sans amour, voire sans un peu de fanatisme. Nous connaissons encore des érudits que hante la légende du maître d’école vainqueur de Sadowa, et sans doute il était humiliant que les Allemands fussent à peu près les seuls à exhumer, sous nos yeux indifférens, les antiques monumens de la langue et de la pensée françaises : ainsi, dans les bourgades de la Macédoine et de l’Asie Mineure, les indigènes voient des hommes venus de l’Occident fouiller le sol pour en extraire des statues mutilées et déchiffrer, sur des pierres encastrées dans les murs des chaumières, des signes obscurs ; ils les regardent sans comprendre, sans même s’étonner : ces statues, ce sont pourtant les anciens dieux du pays ; ces inscriptions, ce sont les lois des ancêtres.

Cependant, ni les purs bibliophiles, ni les dévots du moyen âge, ni les philologues germanisans que la Société a embrigadés.