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extrémité. Ils en viendront là, quand ils auront compris, ce qu’ils ont trop longtemps méconnu, l’importance capitale de l’éducation du caractère, et quand ils se seront mis eux-mêmes à la tâche. Cette tâche est d’autant plus difficile qu’elle est nouvelle, au moins par la valeur et par le tour qu’il lui faut donner.

Il y a là pour la bourgeoisie française une question de salut social et un intérêt vital pour toute la nation. Au risque de perdre en chemin quelques intellectuels qui ne viendront pas s’ajouter à la liste déjà trop longue des hommes de talent, sacrifions tout à la nécessité de former des caractères fermes et droits dans des corps sains[1]. L’éducation doit être réformée dans la famille d’abord : il faut qu’à la sollicitude inquiète qui trouble et qui amollit succède le laisser faire qui aguerrit ; il faut que la confiance franche et éclairée remplace la surveillance préventive et sournoise. — Il faut aussi que toute la nation se pénètre de l’idée que la liberté ne se décrète ni ne s’improvise, mais qu’elle s’acquiert et s’apprend lentement par l’expérience et l’éducation. C’est toute une évolution qui doit s’accomplir dans l’opinion publique et par elle.


MAX LECLERC.

  1. Voici comment un penseur d’une grande clairvoyance a défini le caractère et les effets de l’éducation anglaise (nous le citons le dernier, parce que c’est lui qui a dit le plus en moins de mots et parce qu’il me semble avoir résumé avec une vigueur singulière tous les argumens que nous avons tenté de faire valoir) : « Laforce de l’éducation anglo-saxonne consiste à faire de l’homme un splendide sauvage… capable de supporter, de soutenir et de promouvoir toute civilisation. Ce sauvage reçoit un développement corporel parfaitement entendu. » On lui conserve « le besoin sincère des vérités palpables et puissantes, l’honnêteté fondamentale, comprise et voulue, la disposition vitale à se suffire à lui-même, et à utiliser plus qu’à économiser les choses… La formation qu’il acquiert ainsi ne l’adapte pas étroitement à une profession, mais elle lui assure un tempérament physique et moral à l’aide duquel il se rend facilement maître des moyens de toute entreprise. » Il possède une « aptitude radicale a bien se servir de lui-même. » « Ainsi est faite par la simplicité de son éducation, cette splendide nature si maîtresse de la civilisation et si peu atteinte par elle. » Abbé Henri de Tourville, la Science sociale, décembre 1893, p. 155.