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hommes. » Il est, sans doute, impossible de mieux penser ni de mieux dire ; mais comment remplir ce vaste programme avec les moyens dont le professeur dispose ? Le professeur est en contact intermittent avec tous ses élèves à la fois pendant quelques heures par semaine, au cours d’une année scolaire de neuf mois : et c’est tout pour toute la vie. Il en est ainsi dans chaque classe et pour chaque maître pendant toute la durée du séjour de l’enfant au lycée. L’enfant passe de mains en mains, sans qu’aucune puisse devenir vraiment une main amie. « L’éducation morale par l’enseignement », c’est une belle et noble idée, mais suffit-il de l’avoir ex primée ? De quel côté penchera l’âme faible, inexpérimentée et versatile de l’enfant ? du côté de la parole ou du côté de l’action ? Qui fera le plus d’impression sur lui, l’enseignement du maître donné solennellement du haut de la chaire, à tous en commun, sans intimité vraie, sans réelle pénétration de l’homme par l’homme, ou les exemples qu’il aura sous les yeux à tout moment de la vie, dans la cour, au dortoir, à l’étude, au réfectoire, et les amitiés qu’il liera un peu au hasard des rencontres ? Peut-il y avoir influence morale bienfaisante, éducation du caractère de la part de ceux qui ont charge de l’enfance, s’il y a divorce entre le professeur qui enseigne et le maître qui surveille, si l’autorité prise sur l’enfant par celui dont il reçoit, les leçons et révère la science ne sert point hors de la salle de classe à faire écouter de la même bouche les conseils qui doivent être la règle de vie ; bref, si celui qui débrouille les intelligences n’est aussi celui qui a mission de former les caractères ? C’est au fond une seule et même tâche qui doit être confiée aux mêmes mains, si l’on veut qu’elle soit accomplie tout entière.

Mais dans nos internats encombrés, comment réaliser pareil programme ? Et d’autre part, comment admettre que l’on puisse sans danger et sans injustice, en changeant les conditions de l’internat au prix d’un surcroît de frais, réduire le nombre de ceux qui ont accès à l’instruction secondaire ? Car la question de l’internat est double ; elle est morale et sociale. — Ne touchez pas à l’internat, dit-on, ce sont les plus méritans que vous léserez ; vous fermerez la porte à cette solide réserve de la France qu’est la petite bourgeoisie. — Nous ne proposons rien de semblable ; nous reconnaissons volontiers que l’internat ne saurait disparaître, mais nous soutenons qu’il doit être amendé, et que tous les efforts doivent tendre d’abord à mettre fin à l’encombrement qui exclut toute action morale. Et nous souhaitons surtout que les parens français reconnaissent que l’internat dans le lycée-caserne est le pire des pis-aller, et qu’ils n’y recourent qu’à la dernière