Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 121.djvu/901

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ressort a été si puissant, ce simple moyen a été reconnu si merveilleusement efficace qu’il a été universellement adopté en Angleterre, et que partout, dans la famille et dans l’école, on s’applique à inculquer à l’enfant un respect scrupuleux et absolu de la vérité. La plus grosse faute que puisse commettre un écolier anglais est de dire un mensonge ; la plus mortelle injure que l’on puisse faire à un Anglais est de le traiter de menteur.

Telles sont, pour l’éducation morale, les principales réformes opérées par Arnold. Elles se sont établies peu à peu, et le système d’éducation des public schools est aujourd’hui fondé sur ces deux principes élémentaires : 1° discerner les qualités de chaque enfant et en tirer parti ; 2° faire appel à ses bons sentimens.

La public school est comme une réduction de l’édifice social anglais. Même ordonnance, mêmes procédés de gouvernement. D’une part un gouvernement décentralisé, ménageant ses interventions, agissant de loin et de haut, par son influence plutôt que par ses actes, représentant l’autorité plutôt que l’imposant : ce sont les moniteurs ou prœpostors, véritables agens du headmaster ou du tutor, ayant fait l’apprentissage du commandement réfléchi par l’obéissance consentie dans les classes inférieures, parvenus peu à peu aux postes supérieurs, mais gardant toujours le contact des classes dirigées, leur apprenant, par les exemples et les conseils, à se conduire, tenant compte de l’opinion publique et respectant scrupuleusement l’indépendance de chacun, toutes les fois que l’intérêt général n’exige pas qu’elle ; lui soit sacrifiée ; — en face des moniteurs qui gouvernent, la foule, composée d’individus chez qui l’on a cherché à développer le respect de soi-même et de la liberté d’autrui et, en même temps, le sentiment intime qu’une solidarité puissante doit unir et maintenir unies toutes les volontés dans un même effort et sous une même règle[1].

  1. Les brimades, l’abus de la force, s’ils sont moins fréquens qu’il y a soixante ans, n’ont pas disparu des écoles anglaises — ni des autres. Un auteur qui doit être bien informé répartit les moniteurs entre les catégories suivantes :
    « 1° Ceux qui, usant de leur autorité simplement pour leur commodité, ne rendent aucun service et font indirectement beaucoup de mal ;
    2° Ceux qui, tout en essayant de faire bien, sont déraisonnables et tyranniques dans l’exercice de leur autorité ;
    3° Ceux qui n’ont d’autre titre au pouvoir que leur force brutale et sont la terreur des élèves moins forts qu’eux ;
    4° Enfin ceux dont la présence, grâce à leur élévation morale, est une garantie que l’immoralité, le désordre et les brimades seront réprimés, et qui sont pleins de sollicitude pour autrui. »
    Le même auteur ajoute plus loin :
    « Si le Dr Arnold pouvait voir maintenant ce qu’est devenu ce qu’il avait si heureusement organisé, il serait cruellement déçu ; il aurait honte de son système qui, au lieu de se perfectionner à mesure, est aujourd’hui moitié moins efficace que lorsqu’il nous l’a légué. » Cl. Dukes, op. laud., pp. 167 et 170.
    M. Cl. Dukes nous permettra de distinguer entre les écoles qui sont restées dans la tradition d’Arnold et celles où les ressorts se sont détendus et l’autorité morale des maîtres relâchée. Un système qui donne lieu à des manifestations du genre de celle que nous allons rapporter ne peut être jugé en bloc aussi sévèrement que fait M. Cl. Dukes. A la fin d’août 1892, mourait sur l’aiguille du Goûter (massif du Mont-Blanc), dans une tempête de neige, M. L. Nettleship, fellow de Balliol College. Oxford. C’était un lettré infiniment savant et un éducateur de premier ordre. Cette nouvelle produisit une vive impression en Angleterre, et les journaux furent remplis. pendant quelques jours, d’expressions de regrets fort touchantes. « Nettleship, dit l’auteur d’une lettre au Times (3 septembre), fut élevé à Uppingham (l’une des grandes publics schools), sous le Rev. E. Thring. Il a été probablement le savant le plus distingué qui soit sorti de cette école. Pendant deux ans, si je me souviens bien, il fut capitaine de l’école (c’est-à-dire moniteur en chef, en quelque sorte) ; il remplit ces difficiles fonctions avec un tact, une fermeté au-dessus de son âge, avec la plus parfaite modestie, sans un atome de fatuité. L’impression qu’il faisait sur nous par son intelligence n’était égale qu’à l’influence qu’il exerçait par son caractère ; la franchise, la délicatesse, le courage étaient comme rendus plus faciles à pratiquer pour les élèves qui connaissaient Nettleship… Thring, Witts, Nettleship, headmaster, housemaster. pupil, — c’est un véritable privilège que d’avoir connu de pareils hommes et de les pleurer. »
    Les Universités pratiquent aussi le système tutorial, en l’adaptant. Nettleship fut, à Oxford, un tutor modèle. Dans une autre lettre au Times (30 août 1892), un étudiant de Balliol, après avoir fait de Nettleship un fervent éloge :
    « En parlant ainsi de l’un des maîtres (dons) de Balliol, je tiens à ajouter que, de mon temps du moins, le rapprochement (en français dans le texte) entre les étudians et tous les dons était complet et que, aujourd’hui encore, le tuteur que j’eus au collège est resté le meilleur ami que j’aie au monde. »