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paternelle qu’il manifestait aux enfans, ne tardaient pas à faire naître en leurs cœurs la confiance et le dévouement. C’était l’homme qui agissait sur l’enfant, et non pas seulement le maître sur l’élève. D’un tempérament énergique et viril, d’un caractère indépendant, ouvert et gai, Arnold suivait avec autant d’intérêt les jeux dans la campagne que les travaux de l’école, et il savait apprécier chez un enfant toutes les qualités, même les moins intellectuelles. Il faisait lui-même le sermon du dimanche à la chapelle ; il s’en servit comme d’un puissant instrument d’influence morale : il a laissé dans ses œuvres des modèles du genre. Avec cela, l’oreille tendue à tous les bruits, à toutes les controverses du dehors, à toutes les préoccupations du siècle ; d’une activité d’esprit prodigieuse, écrivant des articles de revue, éditant Thucydide, publiant son Histoire romaine et dirigeant son école, il était la vie et répandait la vie. Il avait coutume de dire : « Plus mon esprit est actif, plus il s’exerce sur des points importans de politique et de morale, mieux cela vaut pour l’école. »

Tout dans ce système, si tant est que cela soit un système, tenait à l’homme ; mais un chef ne peut suffire à tout ; il lui faut des lieutenans : Arnold les chercha dans ses subordonnés, les maîtres assistans, dont le rôle jusqu’alors se bornait presque à enseigner et qu’il mit chacun à la tête d’une maison abritant un certain nombre d’enfans avec mission d’être leurs tuteurs[1].

Arnold était surtout en rapport avec les élèves les plus âgés de l’école, ceux de la sixième classe (sixth form). Après les avoir imprégnés de son esprit, pénétrés des traditions, il les institua moniteurs, avec mission de faire observer la discipline ; il les investit d’une autorité réelle sur tous les élèves des classes inférieures. Ce n’est pas à dire qu’Arnold inventa les moniteurs, mais il transforma une vieille institution barbare en instrument de progrès ; du monitorat il fit une école de la vie, où l’on apprit à se conduire en homme réfléchi, à être indépendant et respectueux de la règle, à posséder le sens de la responsabilité. Il ne souffrait pas d’ailleurs que des élèves irréductibles exerçassent une mauvaise influence ; il priait simplement les parens de les retirer sans éclat.

Arnold accordait pleinement à ses pupilles sa confiance : il réclamait d’eux, en retour, la franchise la plus entière. Il a donné aux générations qu’il a élevées l’horreur du mensonge. Ce

  1. Jusqu’alors les internes étaient en pension dans des maisons choisies par l’autorité scolaire, et dans lesquelles des particuliers entreprenaient de les loger et de les nourrir, en prélevant un bénéfice. Ces établissemens (Boarding Houses, Dame’s Houses) n’offraient que fort peu de garanties morales et la discipline y était défectueuse. Ce n’étaient pas des maisons d’éducation, mais des entreprises commerciales.