Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 121.djvu/895

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

En Angleterre, les exercices du corps sont en honneur, au même titre que la propreté et l’hygiène ; l’enfant à l’école, l’homme adulte dans ses momens de loisir, s’adonnent aux jeux de plein air ; ils y consacrent beaucoup de temps, d’énergie. Il leur faut aussi beaucoup d’espace. Sur toute la surface du pays, vous trouvez de vastes champs réservés aux jeux de cricket, de football, de tennis, de la crosse ; des bateaux sur les rivières pour les courses à l’aviron, des yachts dans les ports pour les longues croisières ; des bicyclettes, en nombre infini, parcourant toutes les routes. Tout cela représente un capital considérable, un patient entraînement, des efforts de longue haleine ; c’est le produit de toute une révolution lentement accomplie dans les mœurs de ce peuple qui, il y a une cinquantaine d’années, était, au dire de tous les témoins, épais, bestial, adonné, du haut en bas de l’échelle sociale, aux excès de table ou de cabaret. Le mouvement est parti des public schools et des Universités, de l’aristocratie, en un mot ; il a gagné, de proche en proche, la petite classe moyenne vers 1860, au moment où l’Angleterre, effrayée de l’attitude de la France, crut le moment venu de se préparer à la guerre, et où surgirent, sur le sol britannique, ces corps de volontaires qui se sont perpétués. La mode de l’athlétisme est aujourd’hui devenue générale ; tout le monde est converti. Tout Anglais veut se faire des muscles ; il redoute l’obésité comme une humiliation ; et la combat comme un fléau.

Aux jeux, aux exercices de plein air, l’Anglais applique cette persévérante ténacité qu’il met en tout : il a porté l’entraînement à son point de perfection ; non pas seulement l’entraînement en vue d’un effort extraordinaire et momentané, comme la University boat-race, mais l’entraînement de tous les jours, de toute la vie. Il est parvenu de la sorte à modifier certains caractères du type physique, à refaire des tempéramens[1] par les mêmes moyens qu’il a employés pour créer le cheval de pur-sang, la race Durham, ou pour transformer en quelques années les champs de céréales en pâturages. Il faut maintenant aller jusque dans les provinces reculées pour trouver encore quelque rare échantillon de

  1. Ruskin, dans la phrase citée plus haut, dit : « Le corps doit être fait… »
    Les jeux athlétiques « ne sont pas pour l’Anglais une simple diversion au travail de l’intelligence ni un complément oblige d’une éducation libérale, ils sont une impérieuse nécessité. Ces plantes hâtives, un peu grêles dans leur jeunesse, ont besoin de respirer à l’air libre, d’essuyer le vent et la pluie. Le soleil chaud du midi ne les a pas mûries ; leur sève, en apparence si abondante, est trop aqueuse ; l’atmosphère d’une serre les étiolerait. »
    Oxford, par le P. F. Prat, S. J. dans les Études religieuses, revue mensuelle des Pères de la compagnie de Jésus. Mai 1892, p. 92.