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voisin. Chaque famille a sa maison, son foyer, son toit, sa communication directe avec le dehors ; elle est chez elle maîtresse absolue ; nul étranger sur la tête ou sous les pieds. Point de ces grandes casernes divisées en cellules[1], de ces appartemens étroits qui étiolent et restreignent les familles. Elle a toute la place qu’il faut pour s’étendre et s’ébattre à l’aise.

Le home a une poésie intime et profonde qu’un Anglais se croit seul capable de sentir et d’exprimer : « C’est le lieu de paix, l’asile qui protège non seulement contre toute injure, mais contre toute terreur, doute et division. Si le foyer n’est point tout cela, ce n’est point le home ; si les anxiétés de la vie extérieure y pénètrent, si l’un des époux permet au monde inconnu ou hostile, sans sérieux et sans amour, de franchir le seuil, ce n’est plus le home ; ce n’est plus qu’un morceau du monde extérieur que l’on a couvert d’un toit et éclairé au dedans. Si, au contraire, le foyer est un lieu sacré, un temple gardé par les dieux domestiques, où nul n’est admis qui ne puisse être accueilli avec amour, alors c’est bien le home ; il en mérite le nom et rayonne de sa gloire[2]. »

Le chef de famille, époux et père, règne en souverain absolu sur le home. Un Américain a remarqué, non sans quelque étonnement, que, on Angleterre, l’homme est toujours considéré par la femme comme lui étant supérieur. « L’Angleterre est le paradis des hommes, s’écrie-t-il… La volonté du chef de famille est reconnue comme la loi du ménage, et personne ne songe à la contester[3]. » Le chef de famille a créé le home ; il entretient le ménage ; responsable devant la société et la loi, ayant la peine et la responsabilité, il reçoit en retour obéissance et respect. Père, il tient à se faire respecter d’abord, avant que d’être aimé[4] ; vous ne retrouveriez pas en lui le père-camarade que nous,

  1. Sauf quelques exceptions très spéciales : à Londres, dans certains quartiers où la population est flottante.
  2. John Ruskin, his life and teaching, by Marshall Mather. London. 1890, p. 84.
  3. R. G. White. England without and within. Boston, 1881, p. 207.
  4. « Vos fils, disais-je à un Français de mes amis, en usent librement avec vous. Ils ne semblent nullement impressionnés par l’autorité paternelle. — Comment, me répondit-il, attendre d’eux du respect et de la considération, quand nous leur avons appris nous-mêmes à mépriser les croyances et les institutions de nos pères ?… Le sentiment du respect n’a pas été développé dans leurs âmes. » (P. G. Hamerton, Français et Anglais. Paris, 1891. T. I, p. 65.)
    Voici le pendant anglais : C…, père de plusieurs enfans, dont l’ainé a dix ans, pratique peu sa religion, mais il est persuadé que la religion est un élément nécessaire de l’éducation. Il recommence d’aller à l’église à mesure que ses enfans grandissent, parce qu’il juge indispensable de donner l’exemple. C… jouait au tennis le dimanche dans son jardin ; il y a renoncé, parce qu’on enseigne à ses enfans que le dimanche est consacré au repos du Seigneur. Il a pris pour règle : « Respecter, si l’on veut être respecté. »