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TROIS ROMANCIERS SCANDINAVES

II[1]
HERMAN BANG ET ARNE GARBORG

De Copenhague à Wamdrup, sur la frontière prussienne, en regagnant la France à travers Séeland, l’île de Fyen et la Péninsule, c’est un vaste plateau qu’en deux endroits la mer a rompu, et sur qui de longs et réguliers labours tracent comme un damier. Bien que novembre tire à sa fin, il ne fait pas froid, mais il pleut, il pleut sans relâche sur la plaine rase. Le paysage flotte dans une lumière indécise et sans chaleur, dans un jour hésitant qui cependant dessine les contours des choses avec une sécheresse singulière. C’est dimanche, et aux stations la foule envahit les wagons bientôt bondés. Pas de cris, pas de chants ; une sérénité grave, austère et sans paroles. Les femmes, les cheveux enfermés dans la blanche résille nationale, qui tombe dans le dos en forme de bourse, ont l’air triste, et entre tous ces gens règne une réserve étrange qui s’harmonise à ce ciel blême, à cette terre morne et sans relief d’où la joie de vivre semble exilée. Leurs membres noueux disent leurs travaux ardens à féconder la glèbe ingrate ; et leur prunelle paisible, habituée à refléter cet horizon mélancolique, semble emplie d’infini. La nature les a faits ce qu’ils sont : gros mangeurs et buveurs solides, d’intelligence timide et passive, pénétrés de croyance, car ils sentent confusément peser sur eux la rigueur de lois inconnues, et de croyance

  1. Voyez la Revue du 1er janvier.