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a dressé une longue liste des inclinations naturelles à l’homme : depuis les actes réflexes les plus simples, sucer, mordre un objet placé dans la bouche, crier, secouer la tête en guise de négation, etc., jusqu’aux impulsions plus compliquées, imitation, émulation, combativité, résistance, contradiction, ressentiment, antipathie, sympathie, crainte instinctive, instinct d’acquisition et d’appropriation, jeu, sociabilité, honte, pudeur, amours de toute sorte, etc. C’est précisément l’extrême complexité des instincts humains qui les fait méconnaître, parce que l’un apporte obstacle à l’autre. Un cerveau compliqué, se trouvant excité à réagir dans une multitude de directions à la fois, ne répond plus aux excitations, comme l’animal, par des réactions simples, uniformes, faciles à prévoir. De plus, l’homme a la mémoire, la réflexion et le raisonnement. La mémoire fait qu’il se souvient et de l’acte passé et de ses conséquences ; la réflexion fait qu’il se voit agir dans le présent ; le raisonnement lui fait prévoir les conséquences de son acte. Si ces conséquences lui plaisent en vertu de telle tendance, elles lui déplaisent en vertu des tendances opposées, dont ; elles empêchent la satisfaction. L’idée des conséquences éveillera donc toujours chez lui des images de plaisirs et de déplaisirs, qui elles-mêmes éveilleront des impulsions corrélatives. A mesure que le nombre des idées s’accroît, le nombre ? des impulsions s’accroît aussi et, en outre, chacune d’elles devient moins aveugle, moins irrésistible, moins voisine de cet état des hypnotisés qu’on appelle le monoïdéisme et qui les met sous la suggestion fatale d’une idée exclusive. Mais, aussi, tout dépendra du groupe d’idées qu’on aura fait prédominer et dont chacune sera une porte ouverte à un des innombrables instincts latens dans l’âme humaine. L’idée définit, détermine ce qui, sans elle, serait resté obscur et inactif. Il suffit parfois d’une phrase lue, d’un mot prononcé, pour faire monter à la lumière telle impulsion dangereuse qui dormait dans l’ombre. Toute idée est une suggestion, par cela même qu’elle est une définition.

Ceux en qui la puissance de vouloir domine doivent se subdiviser en trois espèces : 1° volontaires ayant peu de sensibilité et peu d’intelligence : les obstinés, les têtus ; 2° volontaires ayant beaucoup de sensibilité et peu d’intelligence : les emportés, les violens ; 3° volontaires ayant beaucoup d’intelligence et peu île sensibilité : les calculateurs froids et énergiques que rien n’arrête dans l’exécution de leur plan, les Turenne et les de Moltke. Mais c’est surtout d’après les fins poursuivies, conséquemment d’après les objets intellectuels, que les volontés doivent être classées. L’intelligence, en effet, est essentiellement polarisée,