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aspirent à prendre vie ; mais, quand c’est seulement quelque idée-force isolée qui nous pousse à agir par une sorte de fascination ou de suggestion interne, nous n’avons pas encore la volonté digne de ce nom ; c’est plutôt un entraînement qu’une réaction du moi. Au contraire, quand c’est l’idée même de notre moi et de sa puissance qui se subordonne toutes les autres et leur imprime une unité, quand c’est l’idée de notre liberté qui tend à se réaliser ainsi elle-même, nous disons qu’il y a volonté réfléchie et vraiment personnelle. De plus, outre l’idée de notre puissance, nous avons alors celle de l’objet auquel elle s’applique : c’est cette sorte de système astronomique d’idées et d’impulsions corrélatives, gravitant autour d’un centre, qui constitue la volonté vraie, la volonté intelligente.

La volonté a deux fonctions, l’une d’impulsion, l’autre d’arrêt, qui se retrouvent chez les divers individus dans des proportions inégales et qui dépendent encore en grande partie du développement de l’intelligence. L’action « inhibitoire », si essentielle à toute volonté maîtresse de soi, n’est le plus souvent que le résultat d’idées multiples, accompagnées de sentimens multiples, qui produisent des impulsions en sens opposés, par cela même des arrêts. C’est quelque chose d’analogue à l’interférence des rayons lumineux, se neutralisant pour aboutir à l’obscurité. Ceux qui possèdent, soit par nature, soit grâce à l’instruction et à l’éducation, un système cérébral complexe et riche, ont ce pouvoir d’arrêt : ils sont, comme Descartes et Spinoza, aptes à la réflexion, à la suspension du jugement. Ils n’agissent qu’après avoir hésité entre plusieurs motifs, que la complexité de leur organisation cérébrale fait apparaître devant leur conscience. Ce n’est pas tout. Cette facilité à concevoir plusieurs voies possibles d’action, résultant de ce qu’en effet le cerveau offre un grand nombre de voies différentes à l’onde moléculaire, subsiste après que le jugement a été formé et la résolution accomplie : de là un pouvoir persistant de corriger ses jugemens et de rectifier ses manières d’agir.

Au contraire, un cerveau simple, comme le sont nécessairement ceux qui n’ont point été développés par l’expérience ou par la science, réalisera le type de la volonté explosive. Il sera tout ensemble irréfléchi avant de juger ou d’agir, et obstiné à garder ensuite, malgré les meilleures raisons, ses opinions ou lignes de conduite. On a souvent opposé le sauvage impulsif, précipité dans ses inductions et entêté dans ses actions, à l’homme civilisé, retenu, qui s’arrête avant de conclure et peut toujours rectifier ses jugemens par des réflexions nouvelles. Et pourquoi