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de détruire ce qui leur plaît jusqu’à la passion… L’on eût dit que deux âmes, s’étant disputé le soin d’animer son corps, se livraient une lutte acharnée pour se chasser l’une l’autre. Au milieu de ces souffles contraires, l’infortuné perdait son libre arbitre et tombait épuisé chaque jour par la victoire de l’ange et du démon qui se l’arrachaient. » Il s’endormait le cœur plein de tendresse, il s’éveillait l’esprit avide de combat et de meurtre ; et réciproquement, s’il était parti la veille en maudissant, il accourait le lendemain pour bénir. « Comment se fait-il, dit Musset, qu’il y ait ainsi en nous je ne sais quoi qui aime le malheur ? »

On le voit, quand le sensitif intellectuel n’a point assez d’énergie volontaire, et que de plus son intelligence est surtout imaginative, il peut offrir, selon la nature de ses idées et de ses sentimens, des variétés nombreuses ; mais, quoique vivant d’une vie plus complète et plus raffinée que le sensitif intellectuel, il reste encore ou mobile au gré d’idées et de passions changeantes, ou dominé par une passion unique. Encore celle-ci est-elle obligée de se manifester elle-même par des alternatives, pour ne pas user d’un coup tout le système nerveux.


III

L’intelligence peut être considérée en elle-même ou dans ses objets. Dans sa nature intrinsèque et dans son fonctionnement, elle est prompte ou lente, forte ou faible, tenace ou fugitive. Mais ces qualités ou défauts tiennent surtout au tempérament et à la constitution cérébrale, qui comporte plus ou moins de rapidité, d’intensité et de durée dans les impressions et les réactions. Par l’exercice, l’intelligence peut acquérir un fonctionnement plus rapide, plus énergique et plus durable, mais seulement entre certaines limites, qui tiennent encore à la constitution même du cerveau. Du côté des objets, au contraire, l’intelligence offre une perfectibilité que n’ont point, par elles-mêmes, les autres fonctions de l’esprit et qu’elles sont obligées de lui emprunter. Ce grand fait, — le trait humain par excellence, — tient à ce que l’évolution intellectuelle consiste surtout en un établissement de relations nouvelles entre les objets, toute idée n’étant qu’un ensemble de relations aperçues d’un seul regard. Celles-ci, à leur tour, supposent que des communications nouvelles ont été frayées entre les cellules cérébrales, que des trajets nouveaux ont mis en rapport des parties autrefois séparées. Les cellules cérébrales atteignent environ, d’après Meynert, le chiffre de six cents millions, et les libres plusieurs milliards ; d’après Beale et d’autres, il faut