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classification des divers types. Nous rechercherons ensuite son influence sur chacun des trois principaux types de caractères : les sensitifs, les intellectuels et les volontaires.


I

Toutes les fatalités héréditaires de constitution et de tempérament, qu’on nous représente comme notre caractère propre, le sont-elles réellement ? — Elles constituent bien plutôt en nous la part d’autrui, car elles représentent le caractère de notre famille, de notre nation, de notre race et de notre sexe, la marque reçue par nous du dehors, non celle que nous nous imprimons à nous-mêmes. « Le caractère, a-t-on dit, c’est le moi en tant qu’il réagit. » Sans doute, mais le vrai moi c’est celui qui se connaît et connaît son action : notre vrai caractère est donc dans la prise de conscience et de direction de nos tendances naturelles. Quelque difficile que soit cette conquête de soi, elle n’est pas impossible. Rachel de Varnhagen, par exemple, le docteur Johnson, Henriette Martineau, étaient nés avec un tempérament mélancolique ; ils étaient de ces attristés qui voudraient fuir le battement incessant de la vie et dire à leur cœur : Endors-toi ! Mais, par leur intelligence et leur volonté, ils tirent une noble tentative pour triompher de leur tendance organique au découragement, et ils arrivèrent à vaincre cet ennemi caché de la paix intérieure. A la mélancolie de tempérament ils ont opposé la sérénité de caractère.

Aussi n’est-ce pas à la vie inconsciente que se réfèrent nos jugemens et s’adressent nos affections. Aimons-nous une personne parce qu’elle est vive ou lente, molle ou active, forte ou faible ? Non : ce sont là des diversités de tempérament qui ne constituent pas sa vraie individualité. Les aptitudes mêmes apportées en naissant ne font que prédisposer notre affection. Ce qui l’entraîne (quand elle est de nature morale, non une simple inclination physique), c’est le véritable caractère de la personne, sa vie consciente et volontaire, la manière dont elle réagit sur sa nature par son intelligence et sa volonté. Ce n’est pas le mécanisme ou l’organisme inconsciens que nous pouvons aimer, c’est l’être conscient qui pense, sent et veut, en un mot qui aime. Le vrai fond du caractère, pourrait-on dire, c’est surtout notre manière d’aimer.

On objectera qu’il est des intellectuels qui n’aiment pas grand’chose, mais qui comprennent si bien ! Ce ne seront pas des poètes, assurément, mais des penseurs parfois, ou des savans.