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LE CARACTÈRE
ET L'INTELLIGENCE

Nous avons un caractère inné et un caractère acquis. Le premier, qui tient à notre tempérament et à notre constitution, n’est guère que notre organisme vu par le dedans. Pourquoi tel homme est-il naturellement actif, l’autre indolent ? l’un irritable, l’autre inerte ? Pourquoi la pensée du pouvoir, qui enivre un Cromwell, laisse-t-elle froid un Newton ? La dernière raison de nos sentimens naturels est la conformation générale de notre corps, jointe à la constitution particulière de ses divers organes, surtout du cerveau. Mens agitat molem, a dit le poète ; on lui a répondu qu’il est encore plus vrai de dire : Mens agitatur mole.

Le fond natif de notre caractère, se trouvant ainsi au-delà de notre conscience, ne peut être connu de nous directement. C’est pour cette raison, non pour les raisons mystiques invoquées par Schopenhauer et M. de Hartmann, que notre naturel est inconscient, qu’il est presque impossible de le déterminer, sinon par l’expérience, en se voyant agir comme on verrait agir une autre personne. Il y a des momens où, muets et immobiles, nous le regardons faire, cet autre, cet inconnu, qui est nous cependant, notre moi organique et primitif : c’est d’abord dans la surprise des émotions vives, où le temps de la réflexion ne nous est pas laissé, où la réaction est produite avant même que nous n’en soyons informés ; c’est encore dans certains momens de crise où la stupeur morale succède à des émotions trop fortes, où la volonté est comme