Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 121.djvu/790

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

travaillèrent sans relâche. Les assiégeans, de leurs vaisseaux, entendaient des bruits alarmans qui venaient de derrière les murailles ; ils interrogeaient avec anxiété les captifs et les transfuges, mais personne ne put leur apprendre ce qui se préparait. Quand tout fut prêt, la communication fut tout d’un coup ou verte, et l’on vit sortir du canal, dont on ne soupçonnait pas l’existence, cinquante trirèmes avec d’autres vaisseaux de moindre importance. La guerre recommençait. — Aujourd’hui encore on montre sur le rivage une dépression du sol que le sable a presque comblée et dans laquelle on croit reconnaître le canal creusé par les Carthaginois.

Pendant l’un des combats que la nouvelle flotte livrait aux galères romaines il se passa un incident qui suggéra peut-être à Scipion son nouveau plan d’attaque. Un jour où l’on s’était rudement battu, quand les vaisseaux des Carthaginois voulurent rentrer dans le port, ils trouvèrent la passe, qui ne devait pas être très large, encombrée par les petits bâtimens. Poursuivis de près par les Romains ils s’embossèrent contre les quais, et, soutenus par les archers qui tiraient du rivage et du rempart, ils tinrent l’ennemi à distance. Est-ce ce combat qui tourna de ce côté l’attention du général romain ? Toujours est-il qu’il s’aperçut que cette partie de l’enceinte serait plus facile à enlever que le reste. Carthage, maîtresse de la mer, ne redoutait que les dangers qui pouvaient lui venir de la terre : aussi la muraille était-elle, le long des quais, beaucoup moins forte qu’ailleurs. Scipion y fit débarquer ses machines et ses soldats, battit le mur en brèche, et finit par emporter tout le quartier des ports, jusqu’au Forum qui était proche, poussant devant lui la population éperdue, qui se réfugia dans Byrsa.

Là devait se livrer la dernière et la plus terrible bataille. Trois longues rues montaient du Forum à la citadelle, bordées de maisons serrées à six étages. Les Romains furent forcés de les assiéger l’une après l’autre. On combattait sur les terrasses et dans la rue ; les habitans, qui n’avaient pas pu se sauver, étaient jetés par les fenêtres et reçus sur les piques. La maison prise, on y mettait le feu, et, si la destruction n’allait pas assez vite, on la jetait à bas avec des machines. « Il faut lire dans Appien, dit Tissot, le récit tout entier de ces derniers jours de Carthage. Cette narration est certainement celle de Polybe, et le témoin oculaire de cette épouvantable ruine en avait retracé tous les incidens avec son exactitude ordinaire, nous allions dire avec sa froide et impitoyable précision. Ces maisons qui s’écroulent avec leurs défenseurs ; les survivans, femmes, enfans, vieillards, traînés par des crocs, entassés pêle-mêle avec les morts, et ensevelis tout vifs sous