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Carthage n’était pas la première en date des colonies phéniciennes en Afrique, quoiqu’elle soit devenue la plus célèbre : Utique passait pour être plus ancienne. Le nom qu’elle portait (Carthada, la ville neuve) semble prouver ou qu’il y en avait de plus vieilles le long du littoral, et qu’on voulait l’en distinguer, ou bien que, sur l’emplacement même qu’elle occupait, elle succédait à d’autres établissemens qui existaient avant elle. Quoi qu’il en soit, elle ne tarda pas à devenir très puissante et très riche. Ce qui lui donna surtout une situation particulière et prépondérante, c’est qu’elle entra dans des voies nouvelles, et que, pour affermir sa domination, elle osa rompre avec la politique ordinaire des marchands de Tyr. Quand ils fondaient un comptoir au bord de la mer, ils se contentaient en général d’un très petit territoire. Ils ne cherchaient pas à s’étendre à l’intérieur du pays. Loin de faire des conquêtes sur leurs voisins, ils désiraient se les attacher par leur condescendance. Comme ils n’avaient guère de préjugés, ils n’éprouvaient aucune répugnance à payer un tribut à ceux dont ils redoutaient les attaques. C’est ce que les Carthaginois ont fait dans les premiers temps. Il doit y avoir un grand fond de vérité dans la légende qui rapporte la façon dont ils achetèrent le sol sur lequel leur ville était bâtie et comment, en vrais Phéniciens, ils trouvèrent moyen de duper ceux qui traitaient avec eux. Un moment vint pourtant où ils furent amenés à changer de système. Ici encore la nécessité fit violence à leur caractère. Il est probable qu’ils n’auraient pas mieux demandé que de rester en paix avec les indigènes, mais ceux-ci, guerriers et pillards comme ils l’ont toujours été, ne leur laissaient pus de repos. Ne pouvant les assujettir au respect des traités, il leur fallut les soumettre par les armes, et c’est ainsi qu’ils sont devenus conquérans malgré eux. Au moins le furent-ils aussi peu qu’il leur était possible. D’abord ils n’étendirent pas leurs possessions au-delà de ce qui était nécessaire pour protéger leurs établissemens de la côte ; ensuite ils s’exposèrent eux-mêmes aux combats le moins qu’ils pouvaient et levèrent des troupes mercenaires qui se battaient pour eux. Mais une fois réduits à faire la guerre, ils la tirent résolument et avec succès. Comme ils étaient très riches, ils purent se procurer d’excellens soldats ; il leur vint des pays étrangers de bons officiers, et même quelques familles carthaginoises, qui s’habituèrent à ce nouveau métier, leur fournirent d’habiles généraux. Aussi le goût des conquêtes leur étant venu avec le temps et le succès, ils s’emparèrent de presque toute l’Espagne, de la Sardaigne, d’une partie de la Sicile. Puis leurs vaisseaux, passant le détroit d’Hercule, firent d’un côté le tour de l’Afrique et de l’autre poussèrent, dit-on, jusqu’en Bretagne. C’est ainsi que solidement établis sur tous les