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idées, plus courtois, plus complaisons pour ses rêves, plus disposés à s’associera ses projets ? De jour en jour M. de Bismarck faisait une guerre plus acharnée à ces courtisans qu’il appelait des conseillers irresponsables ; de jour en jour, il se méfiait davantage de quelques-uns de ses collègues qui passaient pour être en faveur et pour s’entretenir souvent tête à tête avec le souverain.

Ce fut l’origine de la crise. M. de Bismarck exigea que les ministres prussiens, aussi bien que les secrétaires d’Etat de l’empire allemand, n’eussent, sans son assentiment, aucune communication directe avec le roi de Prusse et l’empereur d’Allemagne. Guillaume II parait n’avoir cédé qu’à moitié sur ce point ; il demanda à réfléchir et qu’un mémoire lui fût présenté. Mais un incident survint qui envenima le conflit. Les élections du 20 février 1890 avaient mis fin au régime du cartel ; les libéraux-nationaux venaient d’essuyer une cruelle défaite, et il n’y avait plus désormais de majorité possible dans le Reichstag que par la conclusion d’un traité entre les conservateurs et les catholiques. M. de Bismarck avait toujours fait preuve d’une singulière facilité à passer d’une combinaison à une autre ; il lui en coûtait peu de négocier un marché avec ses adversaires de la veille pour se procurer les secours qu’il ne pouvait plus trouver dans ses amis. Il lui tardait sans doute de se ménager une entente avec les grands partis du nouveau Reichstag. Le 1er mars 1890, M. Windthorst fut reçu par lui et ils eurent une longue conférence. On a prétendu que c’était M. de Bismarck qui avait invité le chef du parti du centre à s’aboucher avec lui ; il parait certain au contraire que ce fut M. Windthorst qui sollicita une audience par l’entremise de M. Bleichroeder. Quoi qu’il en soit, cette entrevue amena ou hâta le tragique dénoûment de la pièce.

Ou s’est demandé pourquoi l’empereur avait attaché à cet incident tant d’importance. Un mot de M. Blum, rapporté sans doute de Friedrichsruhe et qu’il a eu l’imprudence de répéter, fait bien comprendre ce qui se passa dans l’esprit de Guillaume II. « Il n’est pas invraisemblable, dit-il, que le rusé chef du parti ultramontain offrit à M. de Bismarck, en retour de certaines concessions déterminées, son appui résolu, même dans les questions où le chancelier était en désaccord avec son impérial maître. » L’empereur, qui avait l’art de s’informer, s’avisa qu’il était pour quelque chose dans cette affaire, qu’on était en train d’ourdir un complot contre lui. On s’explique dès lors son émotion, sa colère, sa résolution d’en finir, cette visite du 15 mars aussi orageuse qu’inattendue qui ressemblait à un coup de théâtre ou à une descente de justice. On conçoit aussi que M. de Bismarck, pris au saut du lit et assailli d’objurgations passionnées, ait eu quelque peine à recouvrer son sang-froid. On le somma de révéler ce qui s’était passé entre M. Windthorst et lui : il répondit qu’ils s’étaient entretenus d’affaires particulières.