Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 121.djvu/695

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

solution définitive et pratique, il laisse la porte ouverte à bien des éventualités. Les probabilités nous paraissent être que Liliuokalani, rétablie sur son trône, aura peine à désarmer l’hostilité des colons américains, peine aussi à se maintenir en dépit de leurs intrigues, et que, sous des formes diverses, des conflits se produiront, lesquels amèneront tôt ou tard son abdication forcée.

En dehors donc de cette solution que nous envisageons comme un expédient temporaire, il importe de rechercher s’il n’existerait pas une autre combinaison à laquelle on pourrait recourir, l’heure venue, et qui, donnant au parti américain et aux indigènes une suffisante satisfaction, permettrait de ramener le calme dans les esprits et la bonne entente entre les colons et les Kanaques. Cette combinaison consisterait dans l’abdication volontaire de la reine, sagement conseillée, et dans son remplacement par l’héritière présomptive, nièce de la souveraine, la princesse Kaiulani.

Agée de 18 ans, élevée avec soin en Angleterre, demi-blanche, jolie femme, élégante et imbue des idées européennes, la jeune princesse, noble par sa mère, la princesse Likclike, cheffesse de haut rang, Anglaise par son père, l’Hon. Archibald Cleghorn, membre du Conseil privé et de la Chambre des nobles, est aimée des Kanaques et estimée des blancs. Tenue par son absence et les soins de son éducation en dehors des conflits actuels, elle semble appelée, par sa double origine, à devenir le trait d’union entre le passé qui s’efface et l’avenir qui s’annonce, entre la race des Alii qui s’éteint et celle des demi-blancs qui la remplace. Son âge, son sexe et sa grâce désarmeraient vraisemblablement les animosités et permettraient d’espérer que, pour elle, les leçons de l’expérience ne seraient pas perdues et qu’avec elle le royaume havaïen recouvrerait la paix intérieure, à laquelle il est redevable de sa prospérité et de son indépendance, qui importe à toutes les grandes puissances maritimes. Car, nous ne saurions trop le répéter, par sa situation géographique, cet archipel est et restera la clef de l’océan Pacifique septentrional, le point de croisement des grandes voies commerciales et des grandes lignes télégraphiques, l’escale obligée entre l’Amérique du Nord et l’Asie. À ce titre, la France ne saurait se désintéresser de la question ni voir avec indifférence un pavillon autre que le pavillon havaïen flotter sur les batteries de Honolulu.


C. DE VARIGNY