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M. Stevens par M. Willis et l’amiral Skerrett par l’amiral Irwin, d’amener le pavillon américain indûment hissé à Honolulu et de saluer le pavillon national, la question havaïenne serait résolue ; mais il n’en va pas ainsi. On se trouve en présence d’un gouvernement de fait, provisoire il est vrai, mais en possession du pouvoir, et qui n’y renoncera que contraint et forcé, appuyé qu’il est sur un parti riche et influent. On se trouve en présence d’une reine illégalement dépossédée, mais à qui l’on ne peut rendre son trône et sur lequel on ne peut la maintenir que par la force. Cette force, les États-Unis la possèdent et au-delà, mais il leur faut en user contre leurs propres concitoyens, en faveur d’une étrangère et d’un principe antagoniste au leur. D’où : intervention dans les affaires intérieures d’un pays neutre ; d’où : intervention prolongée peut-être, car que servirait de restaurer la monarchie et de rétablir la reine si, le fait accompli, on laissait la monarchie et son représentant aux prises avec les mêmes difficultés, en butte aux mêmes complots ?

Ce n’est là qu’une hypothèse, mais une hypothèse admissible. Il se peut que la décision du président se heurte aux résistances du gouvernement provisoire. Le contraindre à céder, c’est user de force ; l’abandonner à ses seules ressources, c’est courir les risques d’une guerre civile. Du jour où les Kanaques verraient que le gouvernement provisoire et ses adhérens sont l’unique obstacle au rétablissement de la monarchie, que le cabinet de Washington se refuse à reconnaître ce gouvernement, le désavoue et les laisse libres d’agir, ce ne sera plus qu’une question de nombre. Ils sont trente contre un, et, cette fois, le gouvernement américain se trouverait mis en demeure d’intervenir pour protéger la vie et les biens de ses nationaux. Les déclarations si nettes, si loyales, du président sont bien de nature à satisfaire les indigènes, mais à la condition que leur indépendance reconnue soit désormais à l’abri de toute atteinte. En l’état actuel des esprits, cette certitude fait défaut, et une intervention permanente des États-Unis en vue de la leur donner équivaudrait à un protectorat déguisé.

C’est qu’entre les méfiances justifiées de Liliuokalani et les rancunes du parti qui, l’ayant renversée, se la voit imposer, un rapprochement est difficile et un accord précaire. Ils le sont d’autant plus que le président Cleveland et le parti démocrate ne détiennent le pouvoir que pour un temps limité ; que l’avènement des républicains en 1890 donnerait le signal d’un nouveau soulèvement, et que les espérances des annexionnistes ne sont, en fait, qu’ajournées. Le rétablissement de Liliuokalani s’impose en tant qu’acte de justice ; maison ne saurait se dissimuler qu’en tant que