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lui trace M. Harrison et détournera le Congrès d’un acte de spoliation que rien n’excuse dans le passé, que rien ne justifie dans le présent. »

Ces protestations ne restaient pas sans écho. Plus hésitant à mesure qu’il était mieux renseigné, le Sénat retardait le vote du traité d’annexion. Inauguré le 4 mars 1893, M. Grover Cleveland, usant de ses prérogatives, retirait le projet, ordonnait une enquête, en confiait la direction à l’Hon. James H. Blount, représentant de la Géorgie, et, le 4 décembre dernier, en communiquait le résultat au Congrès.

Le document est aussi curieux qu’instructif. Il ne laisse aucun doute sur les agissemens du ministre des États-Unis à Honolulu, sur sa participation au complot ourdi en vue de renverser la reine, de substituer au gouvernement légal celui d’une poignée de factieux et de précipiter l’annexion. Les dépositions y relatées émanent presque toutes d’adhérens au mouvement, la plupart de gens que nous avons connus et dont le témoignage est digne de foi. Nul souci d’atténuer les fautes commises et les responsabilités encourues, de donner le change sur les actes et les intentions de l’agent américain, de plaider en sa faveur les circonstances atténuantes, mais un souci constant de faire la lumière, de dégager la vérité et de la dire, d’éclairer l’opinion publique et de ne rien laisser dans l’ombre, et ce n’est pas là, comme on pourrait le croire, un acte d’accusation complaisamment dressé par un parti politique contre l’un des agens du parti adverse, mais bien l’exposé fidèle et détaillé d’une intrigue menée par un représentant diplomatique impatient de notoriété et comptant, pour justifier sa conduite, sur l’éclat du résultat obtenu et l’importance des services rendus.

La publicité donnée au rapport de M. Blount indiquait la volonté bien arrêtée du président et de son cabinet de ne pas laisser l’opinion publique s’égarer, et de couper court aux allégations des délégués du gouvernement provisoire. Le coup était rude pour eux ; ils ne s’attendaient pas à un pareil réquisitoire, et si le silence prudent gardé par M. Blount pendant son séjour de six mois à Honolulu n’encourageait guère les espérances caressées par les chefs du mouvement, ils attribuaient ce silence à la réserve diplomatique du représentant de la Géorgie, qui, dans ses relations sociales, faisait montre, en toutes circonstances, d’une courtoisie parfaite. À défaut d’une annexion, que le retrait, par M. Cleveland, du traité soumis à l’approbation du Sénat rendait peu vraisemblable, le parti américain se rabattait sur l’espoir d’un protectorat, lequel ne serait lui-même qu’une étape préliminaire à la prise de possession définitive.