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ne l’eût recommandée. Les débats récens au sujet de l’admission de l’Arizona, du Nouveau-Mexique et de l’Utah constataient la répugnance du Congrès à élargir le cadre des États nouveaux, à conférer à des territoires encore peu peuplés, bien que peuplés exclusivement de citoyens américains, le droit de représentation au Congrès, de suffrage pour l’élection présidentielle, et la part du droit de veto à l’adoption d’un amendement constitutionnel qui appartient à chacun des États de l’Union. De pareils privilèges, susceptibles, à un moment donné, de déplacer l’équilibre des partis, ne pouvaient être concédés à un archipel où les Américains n’étaient encore qu’une minorité. Les mêmes objections militaient contre son admission à titre de territoire, que repoussait d’ailleurs le gouvernement provisoire, et qui n’eût fait, en tout cas, qu’ajourner la solution.

Devant ces difficultés, le Sénat hésitait à ratifier le traité que lui soumettait M. Harrison. A Washington, les délégués du gouvernement provisoire multipliaient leurs démarches, mais les partisans de la reine ne restaient pas inactifs.

A leur instigation, la presse américaine cuirait en ligne. Si le New-York Sun, le Philadelphia Ledger, le San-Francisco Bulletin, le Boston Journal se déclaraient partisans de l’annexion, le New-York Herald et le Chicago Herald, pour ne citer que les plus importans organes de l’opinion publique, combattaient la mesure proposée. « Jamais, disait le New-York Herald, acte aussi inique n’a été commis au nom des États-Unis. On n’avait pas encore vu nos forces navales débarquer en armes sur le sol d’un pays ami et, sur l’ordre de notre représentant officiel, renverser le gouvernement national et lui substituer un gouvernement provisoire de son choix. » Faisant allusion à l’article paru ici-même, le Herald ajoutait : « L’article que publie la Revue des Deux Mondes, sous le titre de « la Crise havaïenne » dans son numéro du 1er mars 1893, confirme pleinement ce que nous disions nous-mêmes le 21 février et soumet de nouveaux argumens à l’appui de la thèse que nous soutenons. Nous y trouvons en effet le texte authentique de la convention conclue le 28 novembre 1843 entre la France et l’Angleterre, relatant l’engagement pris par ces deux puissances de « ne jamais s’emparer, directement ou indirectement, à titre de « protectorat ou autre, de tout ou partie du royaume havaïen ». Il importe d’appeler sur cette convention, à dessein tenue dans l’ombre afin de laisser planer des doutes sur les intentions des deux grandes puissances maritimes européennes, la sérieuse attention du Sénat. Nous ne pouvons d’ailleurs que nous rallier aux conclusions de la Revue des Deux Mondes, et nous espérons avec elle que M. Cleveland se refusera à s’engager dans la voie que