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pas, et sa persévérance eut raison des manœuvres parlementaires et des coalitions d’intérêts. C’est avec la même résolution qu’il aborda la redoutable question du protectionnisme ; ce fut avec la même droiture qu’il aborda celle de l’annexion des îles Havaï.

Rappelons succinctement les faits. Enrichis par la culture de la canne à sucre, les planteurs américains constituaient dans l’archipel Havaïen un groupe compact d’environ 2 000 colons que la communauté d’origine et d’intérêts, de capitaux accumulés et de possession territoriale, reliait fortement les uns aux autres. Ils formaient une aristocratie locale ; ils personnifiaient la richesse, l’intelligence, le travail, le progrès. Le pays leur était redevable de sa prospérité : ils l’avaient fait ce qu’il était. Bon nombre de ces colons, fils et petit-fils des missionnaires protestans des États de l’Est qui, les premiers, avaient évangélisé ces îles, portaient des noms connus, respectés. Nés dans le pays, ils s’y étaient fixés ; naturalisés Havaïens, ils joignaient au prestige de la fortune le souvenir des services rendus par leurs ancêtres. Leur industrie enrichissait l’archipel ; ils employaient de nombreux coolies importés du Japon et de la Chine, les Kanaques étant trop indépendans et trop fiers pour le travail servile des plantations, mais ne jalousant pas ces nouveaux venus, consommateurs des produits de leurs rizières et de leurs champs. Autour des planteurs se groupaient les « petits blancs, » artisans spéciaux, menuisiers et forgerons, surveillans, mécaniciens, maçons, bien rétribués, Américains eux aussi, puis des Portugais, cultivateurs, fermiers, éleveurs de bétail. Autour d’eux, enfin, gravitaient les maisons de banque et de commerce, les importateurs et les détaillans, puis le trafic maritime et local avec tous les intérêts qui s’y rattachent et en dépendent.

À ces titres divers, ils exerçaient une influence politique considérable. C’était parmi eux que le souverain recrutait d’ordinaire ses conseillers et ses ministres, que le suffrage universel choisissait ses représentans. S’ils n’étaient pas le nombre, ils étaient l’élite ; et la confiance du roi, des chefs et des indigènes leur remettait en mains la gestion des affaires. Ils eussent été plus et mieux que des hommes s’ils n’en avaient usé en vue de leurs intérêts, qui, à leurs yeux, faisaient corps avec ceux du pays.

Mais tout Havaïens qu’ils fussent, ils étaient surtout et avant tout Américains, imbus des idées et des traditions américaines constamment avivées par le voisinage. Le temps n’était plus où il fallait de vingt à trente jours de navigation pour gagner San Francisco, autant, si ce n’était plus, pour se rendre de là à New-York. Huit jours de mer et sept en chemin de fer séparaient Honolulu de la métropole de l’Est. Par la force des choses, les États-Unis