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circonstanciés, nous trouvons que presque toutes les castes possèdent, sur leur origine, sur leurs migrations, des souvenirs ou des légendes qui supposent, de sa cohésion généalogique, un sentiment aussi net que pourrait le révéler l’invention de quelque éponyme commun. Cet éponyme même ne l’ait pas toujours défaut.


VI

Si fort que soit le lien du sang dans la caste, c’est son organisation corporative, sa juridiction reconnue, qui manifeste et garantit sa perpétuité.

M. Beames nous a conté une aventure dont il fut témoin et qui nous met en contact immédiat avec cette organisation, ses attributions, son mécanisme. Elle mérite d’être rapportée en raccourci. C’était à Purneah ; un homme de basse caste, un dhobi ou blanchisseur, était suspecté d’entretenir avec une sienne tante un commerce coupable. Il niait, mais refusait d’éloigner de sa maison sa complice présumée. Il finit par l’épouser ouvertement. Personne de sa caste ne consentit à assister au mariage ; le sentiment public était très monté contre le couple. Finalement tous les membres de la caste habitant le district, — plusieurs centaines, — se réuniront et élurent un nombreux jury qui, après un examen attentif des faits, reconnut les accusés coupables et prononça leur exclusion. Une circulaire dûment signée par les juges, transmise de main en main, avertit, dans tous les districts voisins tous les gens de la caste qu’un tel, ayant été convaincu de conduite immorale et contraire aux pratiques héréditaires, avait été privé de tous ses droits, que personne ? ne pouvait par conséquent, sous peine de partager son sort, manger, boire ni fumer avec lui. Le malheureux condamné, après avoir supporté pendant quelques semaines les effets de la sentence, trouva vite intolérable la vie qui lui était faite. Peu après il se soumettait, se séparait de sa femme. Il dut, à titre d’expiation et d’amende, donner un grand repas ; toute la confrérie y mangea avec lui, et il fut dès lors réintégré dans ses droits.

Cette organisation n’est, bien entendu, réglée que par la coutume ; elle est donc soumise à toutes les incertitudes, à tout le décousu des institutions que le temps, les circonstances, voire des fantaisies accidentelles, peuvent modifier, sans être contenues par aucun frein strictement légal. Les élémens essentiels n’en varient guère. Ce sont les mêmes qui président de tous temps à l’organisation de la famille élargie, du clan. Dans l’Inde, ils se retrouvent ailleurs encore que dans la caste, dans la constitution