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de plein exercice, un peu à la façon dont le baptême fait des chrétiens. C’est vers sept, huit ou neuf ans que l’investiture est ordinairement pratiquée. Elle ne s’applique qu’aux hommes. La femme, toujours plus ou moins mineure dans l’organisation archaïque de la famille, n’appartient à la communauté sacrale que par son père avant son mariage ; après le mariage par son mari qui l’associe à son caractère semi-religieux de père de famille. Cette investiture est donc chose grave. Elle est entourée de rites et de fêtes qui remplissent plusieurs journées. Ce qui nous intéresse surtout, c’est l’extension qu’a prise la coutume. Quelle qu’elle ait pu être jadis, la situation a certainement bien changé. L’investiture devrait aujourd’hui en bonne justice être réservée tout au plus à quelques castes de brahmanes. Il va sans dire que bien d’autres se la sont appropriée, comme la consécration souveraine de leurs prétentions sociales. Non seulement tous les brahmanes, même les plus déchus, les moins fondés à se prévaloir d’une imaginaire pureté de race, non seulement les Rajpouts de tout acabit, non seulement, les classes mercantiles qui affectent d’être les héritières des Vaïçyas de la tradition, mais plus bas encore, les Kâyasthas du Bengale ont revêtu le cordon sacré. Il a été usurpé même par des classes très humbles, comme les Soûds du Penjab, que cette prétention n’empêche ni de manger de la viande ni de boire des liqueurs ni d’autoriser le mariage des veuves. En général, il y a incompatibilité entre cet extrême relâchement et le port du cordon. Mais il faut ici encore s’attendre à toutes les irrégularités. Je relève, par exemple, au Penjab, la caste des Kanets, caste assez basse, dont une division porte le cordon, tandis que l’autre ne s’en revêt pas. Partout où l’usage s’en est propagé, il est sévèrement maintenu, il forme un des traits importans, une des règles le plus exactement surveillées.

C’est l’ensemble de ces règles, souvent si minutieuses, qui constitue la physionomie propre de chaque caste. Chacune en effet a un sentiment de sa cohésion qui fait sa durée et sa force. Il se personnifie quelquefois dans un culte spécial rendu à quelque patron divin ou légendaire : Citragoupta, le greffier infernal, pour les scribes ; Lal Gourou ou Lal Beg pour les balayeurs, pour les forgerons ; Râja Kidar pour certains pêcheurs, etc. On pourrait. ailleurs citer, à défaut de protecteurs aussi spéciaux, des divinités qui, quoique appartenant au Panthéon commun, reçoivent de telle ou telle classe un culte de prédilection. Les traces d’un culte ancestral proprement dit paraissent rares. On a pu justement le faire remarquer. On a eu tort d’édifier sur ce fait îles conclusions positives. Car, là où nous avons des renseignemens un peu