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préoccupation de ne point mimer leurs filles au-dessous d’eux, et, mieux encore, de les marier dans une classe plus haute, est devenue chez beaucoup de castes un penchant assez caractérisé, assez dominant, pour mériter un nom spécial. On l’a appelé hypergamie. Signalé sur bien des points, c’est parmi les brâhmanes dits Koulînas du Bengale qu’il a, jusqu’à ces derniers temps, produit les conséquences les plus frappantes, à telles enseignes, que, pour cette caste au moins, le cas est devenu caractéristique. Le désir passionné chez des brahmanes moins bien nés d’unir leurs filles à des Koulînas, joint à l’impossibilité pour ceux-ci de marier les leurs dans un rang plus humble, à la facilité qui leur est laissée de prendre, sans déchéance sensible, des femmes dans des castes de brahmanes moins relevées, a eu pour effet de produire chez les Koulînas un développement absolument anormal de la polygamie. Il en est résulté une situation morale et sociale qui a provoqué des plaintes trop justifiées. Mais, en somme, il s’agit ici d’une conséquence extrême, non d’une de ces règles positives dont je m’efforce de dégager les principales pour donner au lecteur une idée vivante d’un système si éloigné de nos habitudes.

On pourra s’étonner que je n’aie point encore envisagé l’aspect religieux de la caste. Dans une société de type en somme très primitif comme la société hindoue, l’idée religieuse n’est étrangère à aucun fait, à aucun rouage. C’est justement un des caractères les plus saillans de la civilisation brahmanique que l’inspiration religieuse est partout présente, qu’elle règle tous les ressorts. Notre analyse n’en a pas moins le droit de distinguer entre les élémens spécialement religieux et ceux qui, encore que sous des influences religieuses plus ou moins lointaines, relèvent de ce que nous considérons couramment comme l’organisation sociale. En elle-même la caste ne se présente guère sous un jour religieux. Les croyances diverses s’y coudoient souvent sans hostilité et sans gêne apparente. La conversion religieuse ne change rien pur elle-même à la condition de l’individu dans la caste. Telles castes mixtes sont composées de Jaïnas et d’Hindous. La variété des opinions n’y fait point obstacle au connubium. L’influence même que l’islamisme a pu exercer sur le régime a été lente et surtout indirecte. C’est en vertu de certaines règles de pureté violées ou minées par des pratiques contraires, non pas au nom d’un dogme nouveau, que s’est faite la dissolution, là où elle s’est produite. Le système de la caste est pratiqué régulièrement, par des tribus anâryennes dont les croyances particulières sont en médiocre harmonie avec les théories des brahmanes dégradés qui leur servent