Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 121.djvu/62

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

accroissement de la consommation qui correspond à la baisse des prix et, quoique l’application de la découverte économise immédiatement un certain travail, le nombre des ouvriers employés finit par augmenter. Il ne subsiste donc pas même un prétexte pour enfer mer pendant plusieurs années au Conservatoire des Arts et Métiers, comme le proposa Proudhon, les nouveaux modèles. C’est ici qu’éclate la témérité, j’allais dire la folie du combat engagé contre la libre expansion des facultés humaines. Il faudrait, pour éviter un excès de production, marcher à reculons en maudissant tous ces grands inventeurs qui ont transformé la condition du genre humain. C’est une étrange entreprise que de bouleverser toute la société pour en arrêter le progrès, et je ne sache pas qu’on puisse mieux plaider la cause de la liberté.

On tente encore, pour arrêter l’excès de production, de supprimer ou de réduire le travail des femmes. Karl Marx a soutenu : 1° que la rémunération du chef baisse si les membres de la famille travaillent ; 2° que le salaire des femmes déprécie celui des hommes. Les économistes contemporains ont réfuté ces deux propositions, et je sortirais de mon cadre en reprenant leur démonstration. Je me borne à constater que l’innovation consiste non à laisser travailler les femmes, mais à les empêcher de travailler. Cependant leur droit a été reconnu dans tous les temps et dans tous les lieux ; il est égal à celui des hommes, et l’on ne peut pas les en priver sous le faux prétexte que, si tout le monde travaille dans la famille, la rémunération familiale n’augmente pas. Le congrès de Tours a voté (novembre 1892) la proposition suivante : « La femme mariée sera bannie de l’atelier. » Mais si le mari subit un chômage, s’il ne gagne pas, par sa faute, ou sans sa faute, de quoi subvenir aux besoins du ménage, s’il ne rapporte pas sa paye intégrale au logis ? il faudra donc que la femme et les enfans implorent la charité publique ! La loi française du 2 novembre 1892 fut un essai de transaction entre les partisans et les adversaires de la liberté industrielle. Nous laissons de côté, bien entendu, la partie de cette loi qui concerne le travail des enfans et des filles mineures, pensant que l’Etat a le droit d’intervenir pour protéger ceux qui ne peuvent pas se défendre. Mais fallait-il aussi réglementer le travail des femmes majeures ? La Chambre des députés l’avait admis, malgré l’opposition de MM. Yves Guyot, F. Passy, Andrieux, Bernard Lavergne. Le Sénat fut tout d’abord, il est vrai, d’un autre avis (27 octobre 1891) ; mais, la Chambre ayant manifesté par l’organe de M. Jamais (21 novembre 1891) sa volonté de ne pas céder, il se laissa convaincre par M. Tolain (22 mars 1892). La Chambre des