Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 121.djvu/604

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

larges de ces populations anciennes entrent, sous nos yeux, dans le cadre général de la vaste communauté brahmanique. On prévoit ce qu’un pareil mélange, si actif et si instable, doit entraîner de complications et d’incohérences, et à quel point il en faut tenir compte si l’on veut se faire de l’état des choses une image vivante. Les faits même les plus généraux supportent des exceptions infinies. Une exposition méthodique serait immense, tant le terrain est vaste ; tout résumé est nécessairement imparfait, et trompeur en un sens, tant les espèces sont variées. Je n’ai à tenter ici ni l’un ni l’autre. Au moins faut-il essayer de bien poser le problème.

Faisons abstraction de quelques populations décidément inférieures par la race, isolées par les circonstances géographiques et par l’histoire, secondaires par l’importance numérique : l’Inde tout entière nous apparaît, non pas comme une simple collection d’individus, mais comme une agglomération d’unités corporatives. Le nombre, le nom, les caractères, la fonction en varient à l’infini ; partout elles forment le cadre invariable et, semble-t-il, nécessaire de la population. La communauté de famille s’est, dans de vastes régions, maintenue ou restaurée ; la communauté de village doit une autonomie très large soit à l’usage traditionnel, soit surtout à l’impuissance du pouvoir central ; car, avant la domination anglaise, son héritière, il ne disposait guère de rouages savans : il limitait volontiers à la levée de l’impôt son action normale. Mais ce sont des groupes moins restreints que j’ai ici en vue. Ils ne sont de leur nature liés à aucune répartition géographique limitée ; ils embrassent beaucoup de villages ou s’enchevêtrent sur un même domaine avec une multitude de groupes analogues. Inégaux par le nombre, opposés par les usages, ils ont pourtant des traits communs qui les coordonnent en une même catégorie. Ils se distinguent par des dénominations particulières, se réunissent en assemblées pour connaître de certaines affaires ; ils s’isolent par un soin jaloux à ne se point marier entre eux et par la règle qui leur interdit des uns aux autres tout contact et toute communauté de repas ; ils se différencient par leurs occupations, qui sont pour chacun spéciales et héréditaires ; ils possèdent une juridiction qui veille à l’observation stricte des règles que sanctionne leur tradition. Ce sont autant de castes ; il faut ajouter : ou de quasi-castes.

En effet, malgré la ressemblance générale de tous ces groupes, malgré l’analogie des pratiques qu’ils maintiennent et du fonctionnement par lequel ils les maintiennent, les diversités sont profondes. Beaucoup ont une existence toute locale ; plusieurs, des lois très exceptionnelles. L’aristocratie militaire des Naïrs, confinée sur la côte du Malabar, est fondée sur la polyandrie. Dans le Penjab