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simplement faire mon profit de quelques-uns de ses aperçus ou de ses renseignemens. Ils s’inspirent surtout des faits actuels. Il y a peut-être intérêt à les considérer du point de vue de l’archéologie et de l’histoire qui est proprement le mien.


I

Nous sommes enclins à considérer, hors de chez nous et de notre civilisation, les faits sociaux sous le même jour où ils nous apparaissent dans notre civilisation et parmi nous. C’est une habitude dont il faut se défaire, on se transportant dans l’Inde. Notre monde occidental est enfermé dans un réseau d’institutions, de lois fixes, qui laissent le moins de marge possible à l’imprévu, à la variété, aux conflits. L’Inde est essentiellement gouvernée par la coutume, autorité tenace à la fois et capricieuse, soumise à des influences locales infiniment variables, très puissante dans son action prochaine, fort insoucieuse des vues lointaines et de l’ordonnance des ensembles. C’est le règne de la complexité opposé au goût de la simplification, l’enchevêtrement hasardeux des organismes indépendans en face de la structure, plus ou moins heureuse, mais réfléchie et coordonnée, d’organes soigneusement distingués et contenus chacun dans une action définie. C’est que la société hindoue, en dépit de son long passé, a, jusqu’à nos jours, conservé un type très primitif. Il ne s’y est point développé un état politique, comparable, je ne dis pas à notre état moderne, mais même au régime plus étroit des cités antiques. En l’absence de toute loi politique proprement dite, l’influence à la fois religieuse et sociale des brahmanes a bien pu, par son impulsion séculaire et incessante, mais lente, successive, imprimer à l’ensemble une physionomie commune, réduire sous un certain niveau les antinomies les plus choquantes ; elle n’a pas fait l’unité, moins encore l’uniformité. Elle n’a même pas pu faire l’unité nationale ; lacune capitale et significative.

La pénétration aryenne s’est produite dans l’Inde peu à peu, inégalement. Il est douteux que, même dans le nord-ouest, l’afflux de la race envahissante ait été assez abondant pour refouler ou pour absorber complètement les populations antérieures, d’autre origine. Dans le sud, l’infiltration a été plus restreinte et plus tardive. En sorte que, dans l’Inde entière, les races non aryennes forment partout un contingent notable, quand ce n’est pas la majeure partie de la population. Malgré le vernis uniforme passé sur l’ensemble par la civilisation conquérante, des usages, des traditions, des penchans ont donc survécu qui lui sont étrangers ou contraires. Aujourd’hui encore des groupes plus ou moins