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s’est creusé, entre les rochers, un lit étroit, profond, une Via mala en miniature.

Vue étrange, fantastique aux dernières lueurs du soir. Autour, pour cadre, partout des forêts. C’est la plus sublime des Ardennes.

De Luxembourg à Longwy, nulle frontière visible entre les deux pays. Je me sens pourtant rentré en France, j’en cherche le nom, et je vois seulement, écrit sur un maigre poteau : Département de la Moselle. Si pauvre que soit la région que je traverse, elle m’apparaît tout aimable notre France, aimable et conciliante. Pourquoi donc le Luxembourg ferme-t-il ses portes à neuf heures du soir de notre côté, tandis qu’il les laisse ouvertes jusqu’à dix, du côté de l’Allemagne ?

Ce qui me charme, c’est la vivacité de nos soldats, leurs mouvemens lestes, malgré l’affreuse capote grise qui les fait ressembler à des malades d’hôpital. La manière preste, originale, pleine d’alacrité guerrière dont ils sonnent la retraite, entraînant après eux toute la population, les femmes, les enfans, ceux-ci de petits soldats avant d’avoir rien appris, emboîtant le pas à merveille, tout cela, c’est bien notre race.

À Stenay, je rencontre un escadron de lanciers qui ramène ses chevaux de l’abreuvoir. Scène toute simple, il semble, et qui pourtant inspirerait un de nos grands peintres.

L’allure martiale, et, en même temps, de la grâce dans l’attitude, de la grâce dans le mouvement. Don naturel, qui est l’art véritable de la France.

En voyant ces physionomies mâles, intelligentes, on déplore que les 400 000 hommes qu’elle nourrit n’aient rien à faire, à partir du jour où ils sont enrôlés, et qu’ils se meurent d’ennui.

N’y a-t-il donc pas de quoi les occuper ? N’avons-nous pas sur nos frontières à compléter ou entretenir nos moyens de défense ? Je viens de voir combien ils sont négligés, en face du Luxembourg, à deux pas de la Prusse rhénane.

Ailleurs, n’avons-nous pas les reboisemens, les travaux d’irrigation, de canalisation pour porter l’eau à distance, en pourvoir les régions qui en manquent ? L’eau est la condition essentielle de la vie. Dans un pays comme la France, si disposé à produire, la moindre de nos petites communes devrait en être abondamment pourvue.

Les travaux que j’indique, en servant l’intérêt général, profiteraient aussi directement aux populations rurales. Que ne suivons-nous l’exemple des Romains qui ont élevé en tous lieux, avec leurs soldats, tant de monumens utiles à l’humanité, qui, avec leurs