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Son accueil a été simple et cordial. Nous causons de Paris, du funèbre événement, de mille choses, et je cherche à comprendre ce prodigieux cerveau. Les yeux, la face, ont quelque chose de la mobilité du bimane, mais cette mobilité n’est ici qu’activité ; rien sans but. Passion Apre évidemment. Pour l’argent ?… Je n’en sais rien, mais certainement pour l’action. A la longue, l’habitude d’aller au but est plus forte que le but même.

M. de Rothschild, dans un éclair d’expansion, me dit, non sans une nuance d’orgueil : « Je sais l’Europe prince par prince, et la Bourse, courtier par courtier. » Il eût pu ajouter : « J’ai leurs comptes à tous dans la tête. » Rien de plus certain. Lorsqu’ils se présentent, courtiers ou rois, il leur dit de suite, sans consulter ses livres, où en est leur compte, et ce qu’il augure de l’avenir.

A celui-ci il dit : « Votre position se réglera mal, si vous prenez tel ministère ; par exemple, le ministère Bassano. »

il n’est qu’une chose que ces grands calculateurs ne prévoient pas toujours, la puissance du sacrifice. Ils ne devinent pas qu’il y a en tous temps, à Paris, dix mille, vingt mille hommes tout prêts à mourir pour une idée. M. Anselme m’avoue qu’il a été surpris par la révolution de Juillet.

N’importe, j’ai été saisi par cette grande image du mouvement moderne ; je pourrai presque dire que j’ai vu un vrai grand homme. En sortant, j’étais plein, débordant moi-même d’un besoin d’action.

Une heure plus tard, sa rapide voiture croisant la mienne, cette fois je n’ai vu que son profil. J’en reste frappé : une ébauche de Rembrandt, un simple coup de crayon qui dit tout.


X. — MAYENCE. — LE MONDE ROMAIN. — LA CATHÉDRALE.

Le train se ralentit, la machine stoppe, les portières s’ouvrent : Mayence ! C’est comme si je retrouvais déjà un peu de la patrie.

Sur la route, j’avais déjà revu la nature variée, aimable, à la quelle mes yeux sont habitués : des bois, des vignes, des blés, partout les moissons jaunissantes, et puis aussi, je retrouve le Rhin, fleuve romain, fleuve du monde ainsi que le Danube, autant et plus que fleuve allemand. Ces grandes artères du globe, par lesquelles l’humanité coule aussi, ne devraient connaître aucune servitude politique.

Mais ce n’est pas seulement le fleuve qui, ici, est romain ; tous les monumens gothiques qu’a bâtis le moyen âge, sur quoi reposent-ils ? Sur des substructions romaines.