Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 121.djvu/588

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les yeux. Il y a encore la fatalité qui se mêle à l’activité, je veux dire la nécessité de produire chaque jour même sans inspiration, ce qui ôte le charme du spontané, de l’imprévu, et souvent le réussi. Ce qui est plein d’intérêt, c’est de suivre le progrès de l’ouvrier allemand. A Nuremberg, j’ai compris comment le bottier, le tailleur, en sculptant leurs formes, leurs mannequins, ont pu devenir des artistes. Il en est de même du faiseur de jouets d’enfans qui, de ce modeste point de départ, arrive insensiblement à atteindre, en son plus haut développement, ce qui est l’art véritable de l’Allemagne, l’art de la sculpture en bois.


IX. — FRANCFORT. — JE ME RÉSUME AU TERME DU VOYAGE. — M. ANSELME DE ROTHSCHILD.

C’est ici, à Kissingen, dans une halte de quelques heures, et non à Nuremberg, où j’avais tant à voir, que je viens de noter mes impressions. Et pendant que j’écris, la France est en deuil. Le journal qu’on m’apporte m’apprend la mort tragique du duc d’Orléans (17 juillet 1842). Si à plaindre que soit la veuve, c’est à la mère d’abord que l’on pense, à la reine ! après une longue vie de bonheur par la famille, subir si tard cette amputation cruelle, contre nature, cela est horrible.

Il faut rentrer, reprendre mes leçons aux Princesses. Si elle continue d’y venir, peut-être que l’histoire de tant de martyrs du passé me donnera l’occasion, sinon de consoler, du moins d’incliner cette âme religieuse vers les voies de la résignation.

Me voici dans Francfort, dans cette ville que je n’ai pas revue depuis 1828. Que de choses changées en moins de quinze ans ! A quelle distance je suis déjà de cette Allemagne centrale où, pour tromper l’ennui des longs jours, au fond d’une diligence, dans l’immobilité, je me nourrissais de poésie allemande et latine… Francfort où j’ai remué tant de livres, d’idées, me semble être uniquement, aujourd’hui, le grand marché de l’argent pour toute l’Europe. Les vieux souvenirs historiques s’effacent. Ainsi, je retrouve la salle des Electeurs complètement transformée.

Pour faire revivre quelque chose du passé, je m’enferme à la bibliothèque où le conservateur M. Bœhmer, très obligeant, d’une bonhomie sardonique, me rappelle M. Jung de Strasbourg. Ces figures ironiques des villes impériales font mieux comprendre l’enfant de Francfort, le grand Méphistophélès : Gœthe,

Ma séance achevée, je fais une rapide visite au musée de la ville, fondé par un particulier, encore petit. Quelques portraits de