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si posa ? Je le retrouve maigri, vieilli, mystique au-delà du possible. Nous n’avons plus guère de langue commune. Je m’entends mieux avec un grand beau prêtre qui se dit son disciple. Intelligent et doux, si fin qu’il n’a plus l’air d’être fin, il suit le mouvement, le progrès, lit tout et témoigne un véritable bonheur de pouvoir causer avec moi des Templiers dont il s’occupe aussi. Un professeur de Munich dont je tairai le nom, qui nous a écoutés silencieux, en sortant, me dit : « Monsieur, vous avez eu pleinement raison ; nous sommes ridicules de vanter notre indépendance universitaire. Pourquoi donc Schelling nous a-t-il quittés ? C’est qu’ayant parlé tout haut du peu de faveur que trouve la philosophie en Bavière, il a été mandé secrètement par le ministre, et vertement tancé. En quittant son cabinet, il a accepté les offres que lui faisait la Prusse. « Ceux-ci, Monsieur, sont gens d’esprit, mais peu avisés pour leurs véritables intérêts. Ils ont laissé partir Oken, Cornélius, Rückert, Schelling… Ont-ils eu quelqu’un pour les remplacer ? Personne. De là, un ressentiment sourd dans l’Université contre les étroitesses gouvernementales. »

Munich, en retard pour la libéralité des opinions, est en avant pour l’art. Je viens de visiter, avec M. d’Eichtal, son exposition de quinzaine. Rien de saillant, mais on y voit que la moyenne est très haute. Hess et Kaulbach sont fort en vogue. Le premier, imitateur de Vernel. Kaulbach, connu par les lithographies de sa Maison des fols, promettait un peintre énergique. En cherchant la couleur, il a tourné au mol, au féminin. Il y a eu haine sans doute des exagérations de Cornélius, mais le tempérament aussi s’est révélé. J’ai été frappé de sa figure douce et suave qu’il reproduit complaisamment dans toutes ses toiles.

Ce Cornélius, souvent plein d’emphase, bizarre, d’un coloris étrange, est pourtant le grand peintre de l’Allemagne au XIXe siècle. L’église Saint-Louis a de lui quatre fresques vraiment imposantes. Au reste, il est partout ici, à la Pinacothèque, au musée des sculptures, la Glyptothèque… on comprend qu’il y ait eu rivalité. Berlin l’a appelé ; il est aujourd’hui directeur de son Académie.

Un autre, encore, remplit tout ici : Rubens. Je vais droit à lui. Il suffirait d’entrevoir les quatre-vingt-quinze toiles que possède le musée de Munich, pour sentir, dans la seconde moitié surtout, une œuvre unique. C’est le temps où cet empereur de la peinture semblait si grand, si heureux, et où il souffrit le plus ; — le temps où les désappointemens du bourgeois anobli, de l’ambassadeur artiste. de l’homme sorti de sa carrière, se combinèrent avec les