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« C’est la clôture de la neuvaine de saint Ulrich, patron de la ville, pour qu’il obtienne la fin de la sécheresse. » Les prières achevées, l’officiant donne la bénédiction. Au moment où le prêtre élève l’ostensoir, des flots d’encens l’obscurcissent. Jamais jusque-là je n’avais compris cette fantasmagorie de lueurs métalliques, de fumée ondoyante, où l’objet sacré n’apparaît plus que transfiguré.

La côte de saint Ulrich est à la cathédrale. Le sacristain papelard, espérant une gratification, descend le reliquaire familièrement, et, sans façon, en tire l’os qu’il veut me faire toucher pour me gagner, dit-il, une indulgence. Nous sommes dans le chœur réservé, richement tendu de cuir repoussé et doré. Le second chœur, beaucoup plus ancien, possède une vieille petite chapelle romane qui est un sombre et froid tombeau. Celle-ci faisait partie d’un couvent, qui a précédé la cathédrale actuelle. On voit encore, au-dessus, la tribune dans laquelle les religieuses venaient entendre la messe.

C’est là, dans ce chœur poudreux, abandonné, qu’on a relégué, près du siège carlovingien de saint Ulrich, les antiques bannières des corporations de métier. Antiques pour le fond de l’étoffe, car, hélas ! les figures naïves du temps, qu’il serait si intéressant de retrouver, ont toutes été renouvelées. On voit seulement que les tailleurs avaient adopté le cramoisi, les boulangers le bleu, les jardiniers le vert, etc.

Les vénérables bannières, qui ont toutes abdiqué leur rôle civique, ne servent plus pour les assemblées, ni pour le combat ; elles ne sortent aujourd’hui que dans les processions.

Ces débris d’un passé qui eut tant d’importance, ce siège carlovingien, taillé jadis, rogné, emporté en détail par l’avidité des dévots, tout cela fait bien songer…

Attenant à la cathédrale, le beau cloître des chanoines, rempli de tombeaux avec portraits, vivans, pleins de force, de naturel, inoubliables. Le plus frappant est celui du réformateur qui, le premier, prêcha le luthéranisme à Augsbourg.

Il est resté là, dans ce cloître catholique ; ses mains croisées tiennent encore la Bible ; sa tête penche, chargée plus que soutenue par le dur coussin de pierre. Son visage exprime l’abattement, et toute sa personne l’abdication de la liberté.

De là, où aller, si ce n’est près de Mélanchthon, je veux dire, voir la salle où il lut la confession d’Augsbourg qu’il avait rédigée. Ce lieu vénérable a été rajeuni, défiguré par des ornemens profanes. Et comme si ce n’était pas assez pour effacer ce grand souvenir religieux, ils y ont ajouté tous les ducs de Bavière ainsi que le portrait du roi actuel, étudiant plus que roi, artiste catholique,