Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 121.djvu/566

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’on ne les a communément ici, paraissait propre à tout faire, à tout souffrir. Quel rêve l’occupait ? J’aurais voulu le savoir. Peut-être, pour se donner du courage, pensait-il aux anciennes migrations souabes si glorieuses en Italie, en Prusse… Pourquoi pas ? Ici, la première chose qu’on enseigne à l’enfant des écoles, c’est l’histoire de son pays. Elle arrive au même rang que la Bible.

Il y a deux choses à voir à Tubingue : le vieux château ducal qui fut la résidence des comtes palatins de Souabe, et Saint-George, qui est leur Westminster. Moins honoré toutefois que celui d’Angleterre. Ils sont là, ces pauvres grands-ducs, relégués dans un chœur mal dallé, mal tenu, en un mot, oubliés. Beaucoup de portraits en marbre, d’autres peints dans les vitraux. Au bas de chaque croisée, un prince à genoux. Sous chaque pierre funéraire, des cerfs, des chiens bizarres, terribles, toute la terreur poétique des forêts de l’Allemagne.

Une de ces tombes, fort touchante, est celle d’une jeune fille morte à 17 ans, enlevée à temps, dit l’épitaphe. C’est un vrai portrait, tout à la fois colossal et délicat ; des plans d’une finesse extrême sur cette jeune et puissante figure si virginale malgré la sévérité de la mort et la dignité princière. Tout dit que la jeune morte dut être enjouée, que son sourire dut être bien gracieux, à en juger par les fossettes qu’il creusait aux joues d’une façon bien charmante. Des longues manches plissées sortent à peine deux petites mains, trop petites pour ce corps majestueux. Sous la couronne virginale, elle porte ses longs cheveux tombans à la mode souabe. A ses pieds, son chien, non pas un épagneul de manchon insignifiant, mais un gros bon chien fort et lourd qui hurle, les yeux noyés de larmes.

Sœur de l’un des princes qui reposent ici, elle a été mise dans ce tombeau par son frère qui mourut la même année ! Des étrangers sont aussi enterrés dans ce même chœur. Ces princes du Nord sont venus mourir en Souabe :


…….. Domus alla sub Idâ,
Lyrnessi domus alta, solo Laurente sepulcrum.


Pendant que je regarde, un essaim bruyant de petites filles fait irruption jouant de tout leur cœur avec leurs ardoises d’école. Elles m’aperçoivent, s’arrêtent ; je souris, elles s’enfuient, mais pour revenir bientôt. Le souvenir des moineaux familiers, hardis, de Saint-Martin de Metz me revient. Seulement ces petites figures