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d’eau qu’elle vient de remplir à la fontaine. Des nattes épaisses font couronne sous le fardeau ; il en reste encore sur ses épaules deux tresses magnifiques, qui, défaites, la couvriraient tout entière.

On attribue à Erwin de Steinbach la flèche de la cathédrale de Fribourg. Je le croirais volontiers. Seule sur le porche, elle a un élan juvénile, un jet héroïque. L’église, jadis abbaye, munster, est petite, mais complète d’architecture romane et gothique. Sous le portail, point de statues en pierre comme à Strasbourg, mais seulement des peintures. Toujours la Loi ancienne et la Loi nouvelle en regard. A l’intérieur, des tableaux, plusieurs d’un grand intérêt moral. Aux murailles, des boiseries délicates. Le bois joue un grand rôle dans l’art allemand, surtout au voisinage des grandes forêts où tous les hommes le taillent habilement. D’Holbein, une petite Nativité traitée dans la joie naïve et douce des vieux Noëls. Mais la merveille des merveilles, ce sont ses trois grands volets : au premier, Marie, par un chemin de rochers, descend chez sainte Anne ; elle arrive, lui tend la main les yeux baissés, modeste. Elles sont toutes deux dans un état de grossesse avancée, la plus âgée doublement mère : à son regard de douce intelligence, on voit qu’elle est aussi la mère de la jeune mère. Les enfans à naître s’aiment déjà, vont au-devant l’un de l’autre, car il y a élan ; mais saint Jean, au sein de sainte Anne, se tient déjà plus bas que Jésus.

La Vierge est celle de la Renaissance ; elle rayonne d’une plénitude de jeune vie, d’une telle puissance créatrice, que l’herbe pousse sous ses pas, que les fleurs s’épanouissent, les animaux multiplient à son approche ; la nature commence déjà son Noël. Sur terre la fécondité ; au-dessus, un ciel d’azur, comme il le faut pour éclairer d’une virginale lumière la jeune tête de la mère de Dieu.


Au second volet, la nuit tombe… Il est né !… Marie n’est plus la même, moins divine, puisqu’elle ne contient plus Dieu. Mais femme candide, toujours vierge et charmante, priant avec ardeur, de toute son âme, devant son enfant. Derrière, la figure bronzée de Joseph ; au fond, la bonne tête du bœuf qui prend sa part de la joie universelle ; son souffle doux réchauffe la crèche. Nul autre témoin ; la famille et la nature suffisent. Jésus malheureusement, par un mauvais allégorisme, laisse beaucoup à désirer. Il est excessivement petit et tout blanc, pour ressembler à l’hostie. Autour, les anges sont de petits singes ridicules.