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passer. Il a fallu fortifier notre attelage. Verdun, où je m’arrête pour déjeuner, formait, avec Toul et Metz, un terrain inviolable. Ville de garnison, tout enfermée en soi, elle n’égayé guère le passant. Les intérieurs y sont sérieux, les hommes réservés, les femmes dignes et presque tristes. Tendres pour leurs enfans, elles les serrent dans leurs bras sans paroles. Peut-être, si près de la frontière, songent-elles pour eux à l’avenir, aux calamités de la guerre !

Vainement j’ai cherché une histoire du pays. « La ville n’en vaut pas la peine, » me répond le libraire auquel je m’adresse. Ce mépris pour une cité, déjà antique à la venue des Romains dans les Gaules, m’a profondément blessé !

Ah ! France insouciante de ton histoire, que de forces vives perdues par ton ignorance !…

Toute l’après-midi nous roulons par la pluie et l’orage, sur un plateau élevé. La végétation s’améliore ; la terre devient rouge ; elle nourrit de beaux arbres d’une verdure intense. Ils nous couvrent de leur ombre sur le long ruban de la belle côte qui, de rampe en rampe, nous approche de Metz. À huit heures du soir, nous entrons dans la capitale du royaume d’Austrasie. Quoique très fatigué, j’ai voulu reconnaître la ville, envisager l’énorme cathédrale. Elle apparaît d’autant plus monstrueuse, qu’elle a monté sur une place exhaussée elle-même comme un piédestal.

À l’intérieur, la hauteur de la nef, des fenêtres, la profondeur des vitraux, en font, à cette heure surtout, un ensemble solennel, sublime. J’y reste longtemps assis, rêveur… La nuit est venue, mais la lune éclaire l’immense vaisseau d’un rayonnement mystérieux, et je crois voir se promener les ombres impériales des Charles IV, des Sigismond, de Frédéric III, de Charles-Quint.

Mercredi 22. — Avant que la ville ne s’éveille, je suis l’esplanade, puis le beau quai qui passe devant le Palais de Justice. En face, sur l’autre rive de la Moselle, celle-ci sans quai, s’échelonnent des palais charmans, bizarres. Non pas demi-mauresques, comme on en voit à Venise ! Ce n’est pas non plus l’architecture pansue, grasse, des maisons de Flandre. C’est un genre tout spécial, tout caprice : élégantes et vieilles balustrades, grilles antiques et délicates, fenêtres romantiques dont les stores, à demi relevés, donnent au passant l’envie de regarder l’intérieur.

Où sont les familles patriciennes qui ont habité ces aristocratiques demeures ? Sur un grand balcon de pierre richement