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États-Unis qui, depuis 1868, limitait à huit heures la journée de travail dans les chantiers fédéraux ; mais ils savaient aussi que l’ouvrier pouvait, à sa convenance, d’après la jurisprudence américaine, travailler plus longtemps, étant présumé connaître les règlemens et les accepter par cela seul qu’il se laissait employer et payer[1]. Une loi suisse de 1877 avait déjà réduit le travail des fabriques à onze heures, quand le régime des quatre huit se forma (vers 1880) dans quelques colonies australiennes : 8 heures de travail, 8 heures de repos, 8 heures de sommeil, 8 shillings de salaires. Si les trois premiers termes furent maintenus, du moins jusqu’à ces derniers temps[2], le quatrième fut, on pouvait le prévoir, promptement délaissé, rien ne pouvant empêcher les charpentiers, les gaziers, les plâtriers, les tondeurs de laine et beaucoup d’autres de gagner plus de 8 shillings par jour. On aspira donc exclusivement en Europe, comme en Amérique, au régime des trois huit. Dans l’enquête faite par la commission française du travail en 1890, sur 110 syndicats ouvriers, 180 demandèrent la journée de 8 heures sans travail supplémentaire, 48 la même journée avec travail supplémentaire, 2 une journée moindre, 38 seulement donnèrent une réponse négative. L’année suivante, le premier article du programme d’Erfurt (partie spéciale) fut ainsi rédigé : « Fixation d’une journée de travail normal, fixée à huit heures au maximum. » On sait enfin quelle fut, au dernier Congrès de Zurich, la tactique des meneurs allemands : malgré les efforts du groupe français, qui voulut tout embrasser au risque de mal étreindre, la majorité se concentra sur un seul point : la journée de huit heures ; et revendiqua cette réforme avec toute l’énergie dont elle était capable.

Mais d’abord, pourquoi s’en tenir au régime des trois huit ? Une surenchère démagogique devait s’organiser, et s’organisa. D’après M. Vaillant, il faudrait réduire la journée de travail à six heures, d’après M. Hyndmann à quatre, d’après M. Lafargue à trois, d’après MM. Reinsdorf et J. Noble de New-York à deux, d’après le docteur Joynes à une heure et demie. Cette spéculation à la baisse ne pouvait s’arrêter. M. J. Guesde, interpellé dans une réunion électorale, à Roubaix, par un contremaître qui lui reprochait de berner les ouvriers, a répondu, s’il faut en croire le Journal des Débats du 15 août 1893, que, si ces derniers travaillaient une heure vingt minutes par jour, cela suffirait aux besoins

  1. Voir sur la loi de l’État de New-York, de 1878, et sur l’interprétation qu’elle a reçue, Yves Guyot, op. cit., p. 111.
  2. Aux dernières nouvelles, les trades unions de l’Australie demandent que la journée de travail soit réduite à six heures.