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nationale d’abdiquer toute autorité, tout contrôle, entre ses mains. « Les difficultés que nous devons surmonter, a-t-il ajouté, sont grandes et, pour relever notre crédit, réorganiser les finances, affermir l’autorité de la loi, et donner de nouveau au pays confiance, nous avons besoin du concours de la Chambre sans distinction de partis. À cette fin nous vous demandons la trêve de Dieu ; » c’est-à-dire le vote, sans examen et sans discussion, des dispositions qu’il jugera lui-même les plus salutaires. À aucune époque et nulle part on n’a entendu le premier ministre d’un pays en possession d’un régime constitutionnel, tenir un si étrange langage. C’est que non seulement le déficit grandit et qu’on n’est pas assuré à Rome de pourvoir à tous les services ; c’est que le pays, en outre, s’agite et se trouble. L’association des fasci en Sicile s’attaque violemment au fisc obligé de pressurer les contribuables, et ce mouvement se répercute dans les provinces napolitaines et dans les Romagnes également accablées d’impôts exorbitans. On conçoit que M. Crispi ait recours à des expédiens extraordinaires et inconstitutionnels.

À qui ou à quoi l’Italie est-elle redevable de ce douloureux état de choses ? Évidemment à la Triple Alliance, à l’œuvre de M. de Bismarck, également funeste à tout le continent européen, aux générations présentes et futures. Car ce n’est pas tout que d’armer ; qui dit armemens dit dépenses ; qui lève de plus gros contingens, qui fabrique de nouveaux canons ou construit des cuirassés d’un plus grand modèle, doit les payer ; et cette constante progression, avec les découvertes de la science moderne qui se joue des sécurités acquises, ne connaît plus de limite. Cette progression entraîne celle des budgets qui, déjà à l’heure présente, excèdent les ressources normales de tous les États. Et non seulement ces exigences épuisent les revenus, mais elles entravent le travail national, le développement de l’industrie, de l’agriculture et paralysent le commerce ; elles engendrent la misère et le mécontentement ; elles troublent ainsi la paix intérieure et menacent la paix internationale. Il serait puéril de se le dissimuler : le service militaire, obligatoire pour tous, imposant aux gouvernemens le devoir de détourner une grosse part des revenus publics pour créer de nouveaux bataillons et de nouvelles flottes au lieu de les employer au bien et au soulagement des peuples, a, d’autre part, fait surgir ou facilité la propagation de doctrines subversives de tout ordre social. Et cette calamité d’un nouveau genre s’aggrave et se répand en tout pays. On ne connaissait naguère que les socialistes ; nous sommes aujourd’hui en présence des anarchistes, et on nous annonce les sans-patrie. Ces doctrines n’avaient, il n’y a pas