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méconnaître la valeur des mots et la vérité des faits, n’a jamais constitué une offense et moins encore un acte d’agression. Qu’a fait parallèlement l’Allemagne, comment ont procédé ses alliés, quelles mesures ont prises tous les États de l’Europe, grands et petits ? Ils ont armé, donné tous les jours une plus grande extension à leur état militaire. Avant M. de Caprivi, M. de Bismarck a exigé, du Reichstag, des contributions de guerre plusieurs fois renouvelées ; l’un et l’autre ont eu recours, pour les obtenir, à la dissolution du parlement ; l’expédient était assurément constitutionnel, mais il témoigne de l’importance des sacrifices imposés au pays et de la pression que le gouvernement impérial a dû exercer sur la représentation nationale pour les faire agréer. L’Angleterre elle-même, cette terre d’esprits pondérés, n’échappe pas à la fièvre commune. Il y a peu d’années, en 1889, le parlement a voté un crédit extraordinaire de 500 millions de francs devant être exclusivement consacré à de nouvelles constructions maritimes, en dehors des allocations budgétaires. Cette ressource n’est pas encore totalement employée et déjà l’opinion s’alarme de l’autre côté de la Manche parce qu’une escadre russe a pénétré dans la Méditerranée, et elle exige du gouvernement qu’il demande aux Chambres un nouveau crédit d’une égale importance. Est-ce la France qui a provoqué tous ces armemens ? Pouvait-on exiger qu’elle laissât toutes ses portes ouvertes et sans défense ? Ce qu’on était en droit d’en attendre, c’est d’éviter tout point de conflit, de se prêter à tout accommodement pour conjurer de redoutables complications ; elle s’y est adonnée avec cette modération qui n’exclut pas la dignité ; elle l’a montré dans des occasions diverses, notamment dans ses rapports avec l’Italie sous le premier ministère de M. Crispi. Elle s’est uniquement employée à mettre son territoire à l’abri de toute injure, elle y a procédé en se renfermant dans une sage circonspection qui ne s’est jamais démentie et au prix d’une dette publique qui excède celle de toute autre puissance, la plus lourde qu’un peuple ait encore supportée. Elle n’a bravé personne ; elle s’est recueillie et elle n’a reculé devant aucun des sacrifices que lui commandaient sa propre dignité et la sécurité de la patrie. Est-ce a dire qu’elle ne souffre plus de la mutilation qu’elle a subie, qu’elle a tout oublié ? Ce serait l’offenser que de le croire. Mais, comme toutes les autres nations, elle sent le poids des charges auxquelles elle a dû se résigner pour se couvrir, et elle estime que la paix est encore, pour elle, le meilleur de tous les remèdes ; elle désire ardemment la conserver, laissant au temps et à la sagesse des gouvernemens le soin de corriger un mal dont toute l’Europe est atteinte avec elle.

Avons-nous besoin de dire que la Triple Alliance, initiatrice