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constitution fondée sur les vrais principes comme en Angleterre. Si irresponsable qu’il soit, le prince assume évidemment, en pareil cas, une responsabilité personnelle soit envers ses propres sujets, soit envers les nations qui ont à bénéficier ou à souffrir des obligations qu’il a contractées. Mais les ministres, dira-t-on, répondent des actes du souverain dans ce cas comme en tout autre. C’est la théorie ; la réalité en diffère dans la conjoncture présente. Les ministres passent, le roi reste ; et le traité est renouvelé, toujours enveloppé d’un mystérieux secret. Ce qui démontre d’ailleurs que la volonté du roi se révèle ici avec une autorité exceptionnelle et dominante, qu’on ne saurait le couvrir par une pure fiction c’est qu’on a vu, au parlement italien, des hommes, d’une grande situation politique, qui, après avoir protesté violemment contre les engagemens pris avec les deux empires, les ont, devenus ministres, chaudement approuvés et s’en sont constitués les ardens défenseurs ; reniant l’opinion qu’ils avaient manifestée sur les bancs de l’opposition, ils ont adopté celle du roi dès qu’ils ont pris place parmi ses conseillers. « Vous vous êtes constitués, a dit M. Crispi, simple député, à Depretis et à ses collègues, les gendarmes de l’Allemagne », leur reprochant la signature de l’Italie si criminellement compromise. Nommé premier ministre, il s’est montré le champion passionné des actes de ses prédécesseurs. Quand un démocrate, un irrédentiste comme lui, évolue d’une si étrange façon, on est bien autorisé à penser, sans blesser la dignité de personne, que le roi Humbert n’accorde sa confiance et n’admet dans ses conseils que les hommes qui se résignent à partager son opinion sur la convenance de continuer les relations nouées avec l’Allemagne et l’Autriche. M. de Rudini a succédé à M. Crispi, témoignant de dispositions plus circonspectes ; peu de mois après son avènement à la présidence du conseil, il renouvelait le traité près de deux ans avant le terme de son échéance.

En montant sur le trône, le successeur du roi galantuomo a-t-il jugé opportun, dans l’intérêt de son pays, de dévier de la voie tracée par son père, et, s’inspirant des traditions de sa race, a-t-il préféré prendre, pour modèle et pour guide de sa conduite, l’un des plus illustres parmi ses ancêtres, le roi Victor-Amédée II ? La politique de la maison de Savoie a toujours eu deux pôles, le roi et l’empereur, celui-là à Paris, celui-ci à Vienne. L’habileté de cette dynastie a consisté à abandonner l’un pour courir à l’autre sans compromission et avec bénéfice. Dès l’origine de la guerre de 1688, au début de son règne, Victor-Amédée avait déclaré à Louis XIV qu’il pouvait « en cette rencontre faire un fond solide sur lui ». Il n’était point sincère. Il était résolu au contraire à prendre parti contre la France, « se