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a-t-on reculé devant le caractère et l’importance des clauses qui lient l’Italie aux deux empires ?

Il serait téméraire de chercher à pénétrer la portée de ces stipulations ; on s’exposerait à former des conjectures qui seraient, dans tous les cas, dépourvues d’autorité. Mais il est bien permis de croire que l’entrée de l’Italie dans la Triple Alliance a conduit les contractans à se concerter sur toutes les éventualités qui peuvent contraindre la France à entrer en scène ; qu’ils se sont, tout au moins, garanti mutuellement leur état territorial, et qu’il a été, à cet effet, élaboré des arrangemens militaires. Si l’Autriche a donc prêté la main à l’Allemagne contre la Russie, l’Italie, qui ne leur serait que d’un secours relatif dans un conflit avec l’empire du Nord, est intervenue, de son côté, pour s’unir à ses deux alliées contre la France. On ne peut attribuer un autre objet à l’entente des trois cours.

Quelles considérations, quelles nécessités ont pu déterminer l’Italie à s’engager dans une voie si nouvelle, si contraire à toutes ses traditions ? Qu’est-ce en effet que la Triple Alliance ? Une sorte de Sainte Alliance renouvelée, avec la Russie en moins et l’Italie en plus, conclue pour tenir en servage les Alsaciens-Lorrains d’un côté, de l’autre les Italiens qui subissent encore la domination de l’Autriche. Le roi Victor-Emmanuel n’aurait jamais prêté la main à une pareille combinaison imitée de celle qui a si longtemps pesé sur la péninsule et dont il a eu la gloire de s’affranchir avec l’aide de la France. M. de Cavour dans sa tombe, doit tressaillir d’indignation. Il faut le dire, bien avant la date à laquelle remontent les engagemens contractés par l’Italie, une déviation notable s’était produite dans la politique du cabinet de Rome. La contagion des institutions démocratiques avait alarmé les conservateurs qui détenaient alors le pouvoir. Les hommes le plus en évidence parmi eux, qui n’avaient, jusque-là, connu que le chemin de Paris, prirent, l’un après l’autre, celui de Berlin : il ne leur suffisait pas de s’éloigner d’une république qui avait des adhérais au-delà des Alpes, il leur fallait l’appui des monarchies puissantes, et c’est dans leur esprit qu’a germé le principe d’une alliance hostile à la France. Il fallait justifier ces tendances répudiées, à cette époque, par tous les hommes qui avaient combattu pour l’indépendance, qui avaient souffert l’exil et la prison. On nous prêta la ferme volonté d’exercer en Italie une influence attentatoire à sa dignité et au rang qu’elle avait désormais le droit de revendiquer parmi les grandes puissances. Par des discours, par la presse soudoyée en partie par le fonds des reptiles, — Minghetti l’a reconnu dans une de ses lettres, — par des insinuations persistantes, on irrita le sentiment public. Survint l’affaire de Tunisie, incident