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un état satisfaisant qui permettait de leur rendre leur ancienne cordialité. Mais des incidens nouveaux et éclatans se sont produits qui ont démontré combien cette assurance et cette prévision étaient dénuées de fondement. La Russie s’est rapprochée de la France, et M. de Bismarck, loin de s’accuser, s’en est pris à son successeur. Aux flatteurs qui le visitent il a fait entendre, pour qu’ils les répètent, les reproches qu’il adresse au général de Caprivi.

M. de Bismarck n’a convaincu personne, et le jugement de ses contemporains restera celui de la postérité. Qu’est-ce, en effet, que le traité d’alliance qu’il a conclu à Vienne ? Est-ce un gage de paix ? Nul ne saurait le prétendre, car il est, au contraire, un acte de préparation à la guerre. Que prévoit-il ? De nouvelles hostilités, et les deux parties contractantes y stipulent le concours mutuel qu’elles seront tenues de se prêter le jour où elles éclateront. On aurait ; pu justifier, dans une certaine mesure, de pareilles clauses si elles avaient été libellées uniquement en vue d’une agression de la France. La paix de Francfort a laissé des plaies béantes, et on pouvait présumer qu’elles ne se cicatriseraient que par la revanche. Mais la Russie n’avait encore, en 1879, pris aucune initiative, fait aucune démarche révélant des dispositions malveillantes ou un ressentiment invincible. M. de Bismarck, nous l’avons dit, a pu, dans plus d’un moment, se rapprocher du gouvernement russe en lui sacrifiant ses rancunes, et certainement l’empereur Guillaume n’y aurait pas mis obstacle ; il a préféré au contraire s’en éloigner définitivement en cherchant, à Vienne, le concours qu’il avait, si longtemps, obtenu de Pétersbourg. La rupture entre les deux empires du Nord est donc son œuvre personnelle. C’est ce que nous avons voulu démontrer.

Mais comment l’Autriche s’est-elle prêtée à des engagemens qui élevaient plus haut encore la barrière qui déjà la séparait de la Russie ? L’Autriche a, sur le Danube, des intérêts de premier ordre. Expulsée de l’Allemagne où elle avait exercé une influence séculaire, elle avait subi une déchéance qui avait porté un coup sensible à son crédit sur les populations de la presqu’île balkanique. Si fâcheuse qu’elle fût déjà, cette situation s’était encore aggravée, après le traité de San Stefano, par la prépondérance que cet acte garantissait à la Russie en Orient. Le cabinet de Vienne ne pouvait donc hésiter à entrer dans les vues de ceux de Berlin et de Londres, à se constituer leur complice. On lui offrait la Bosnie et l’Herzégovine pour prix de sa participation. Ces acquisitions dédommageaient l’Autriche des sacrifices qui lui avaient été imposés en 1866, en donnant une base nouvelle, et plus large, à son action sur ses frontières de l’est. En possession de ces deux provinces, elle voyait s’ouvrir, devant elle, le chemin de