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l’atténuation de quelques-unes des dispositions prises au congrès contre les intérêts ou les traditions de l’empire des tsars en Orient. Quelle précieuse occasion s’offrait encore cette fois à M. de Bismarck de complaire à la Russie et de renouer les relations qu’il avait si gravement détendues ! S’empressa-t-il de la saisir ? Il préféra aggraver une situation déjà si compromise ; il courut à Vienne pour y forger de nouvelles armes contre l’empire qui avait rendu à l’Allemagne, aux jours du péril, des services éclatans. Le tempérament de M. de Bismarck a évidemment troublé, en ces circonstances, sa haute et lumineuse intelligence. Comme la justice, la morale reprend, tôt ou tard, tous ses droits, et le président du congrès de Berlin, le signataire du traité de Vienne ne parviendra pas à se soustraire aux reproches qu’il a encourus. Après avoir été l’instigateur passionné de trois guerres, après avoir mutilé le Danemark et la France, aveuglé par l’orgueil, par son esprit de domination, il a creusé, de ses mains, un fossé infranchissable entre l’Allemagne et la Russie, il a allumé, entre ces deux grandes nations, des haines implacables. En s’égarant dans cette fausse voie, il n’a pas seulement nui lui-même à sa propre renommée, il a légué à l’Europe une situation pleine des plus grands dangers. C’est ce que nous allons tâcher de démontrer.


IV

La marque saillante et visible du caractère de M. de Bismarck comme de sa politique, c’est la constante disposition de son tempérament de tout mener à outrance, et d’y employer la violence, hautain ou dédaigneux selon l’occasion, selon la position ou l’autorité de l’adversaire qu’il a devant lui. Ses lettres, datées de Francfort, quand il n’était encore qu’un agent diplomatique, son ! semées d’amers sarcasmes dirigés contre tous les États confédérés, sans en excepter l’Autriche. Il mesurait la valeur de ses collègues, à la Diète, au prix des galons de leurs uniformes. « Il y en avait, écrit-il, pour vingt mille thalers » à un dîner de gala. Quand il engagea sa première lutte, après avoir pris possession du pouvoir, il affecta d’envisager, avec un égal mépris, les droits du roi de Danemark à la possession des duchés, et les titres des prétendans dont la Diète de Francfort avait pris la défense. Il n’a jamais pardonné au comte de Beust d’avoir pris, contre lui, au sein de cette assemblée, la défense des prérogatives souveraines des États confédérés ; il recommanda au commandant du corps d’armée, désigné pour envahir la Saxe en 1866, de s’assurer de sa personne soit à Dresde, soit à Leipzig. Après la paix, M. de Beust dut se réfugier