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Berlin, a obéi à des vues personnelles, qu’il doit compte dès lors, à son pays, des difficultés qu’il lui a créées, aujourd’hui bien apparentes à tous les yeux. Il en a certainement la conscience, et depuis qu’il a été éloigné du pouvoir il a pris à tâche d’en décliner la responsabilité, et de la rejeter sur son successeur dans les nombreux entretiens auxquels il s’est complaisamment prêté. Vains efforts qui n’ont convaincu personne et n’ont servi qu’à mettre ses torts en plus vive lumière en affligeant ses plus fervens admirateurs. Cette opinion a cours en Allemagne. Dans une brochure parue à Leipzig et qu’on a attribuée à de hautes influences, M. de Bismarck est dénoncé comme « l’unique auteur de la rupture irrémédiable survenue entre la Russie et l’Empire germanique ».

Pendant qu’il était encore le maître des destinées de l’Allemagne, il s’est au surplus alarmé lui-même de cette situation, fruit de sa politique personnelle, et il a jugé urgent d’y aviser à l’aide d’une combinaison diplomatique. Dès l’année qui suivit le congrès, en 1879, il offrit à l’Autriche un traité d’alliance. Ne pouvant plus s’appuyer sur l’empire des tsars, il sollicita l’assistance de l’empire des Habsbourg. Mis en demeure d’agréer cet accord, le cabinet de Vienne, complice et bénéficiaire du chancelier allemand, dut y prêter les mains ; et le pacte fut conclu. De là est né le traité de la Triple Alliance. M. de Bismarck s’est plu, pendant longtemps, à égarer l’opinion publique sur les origines de cet arrangement. Elles ne sont plus aujourd’hui un mystère pour personne, et il a contribué lui-même, avant et depuis sa retraite, à nous édifier sur ce point important de l’histoire contemporaine. Signé à Vienne le 7 octobre 1879, le traité resta enveloppé d’un profond secret. Il lui suffisait qu’on en connut l’objet et que l’on fut bien persuadé à Pétersbourg qu’il s’était pourvu ailleurs. Le rapprochement de l’Autriche et de l’Allemagne fut, à son origine, envisagé sans inquiétude ; mais il devint un sujet d’alarme au sein même du Reichstag quand, en 1888, le gouvernement de manda un nouveau crédit extraordinaire pour les besoins de l’armée. C’est donc, se dit-on au parlement, la guerre prévue par les arrangemens pris à Vienne ? — Non, répondit M. de Bismarck, c’est la paix que vise le traité d’alliance, mais, pour la mettre à l’abri de toute atteinte, nous devons être en état de l’imposer. — Il pressentait cependant de vives résistances, et pour les vaincre il prit le parti de livrer à la publicité l’acte qui unissait les deux empires[1].

  1. Le traité signé en 1879 avait été renouvelé en 1883 et en 1887 ; il avait reçu l’accession de l’Italie : mais M. de Bismarck ne fit connaître que le premier en date, celui de 1879, où ne figurait pas la signature du gouvernement italien. À l’heure presente, rien ne nous a encore appris à quelles conditions l’accord à deux a été converti en un accord à trois.