Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 121.djvu/495

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de longtemps, ce que l’énorme contribution de guerre qu’il lui avait infligée, jointe à l’obligation de renouveler son armement et de construire de nouvelles lignes de défense, la rendrait incapable de reprendre, parmi les grands États, le rang qu’elle avait perdu. En passant à Francfort pour retourner à Berlin, il avait assuré que la paix était garantie pour un demi-siècle : le mot fut recueilli et répété par tous les échos germaniques. Heureusement la France est un pays plus riche qu’il ne l’avait supposé ; le sol est fécond, l’habitant est laborieux ; celui-ci travaille, celui-là produit. Si léger qu’on l’accuse de l’être, le Français aime l’épargne et il économise ; quand son gouvernement émet un emprunt, il lui apporte son argent, convaincu, par patriotisme autant que par intérêt, qu’il n’existe pas de meilleur placement. Aussi les prévisions de M. de Bismarck ne tardèrent pas à être démenties. La France lui paya les cinq milliards, non sans difficulté, mais plus promptement qu’il ne l’avait présumé. L’ordre régnait sans apparence qu’il dût être troublé ; le travail avait repris activement dans les usines et dans les champs ; et le gouvernement pour suivait avec succès la réorganisation de nos forces militaires. En 1875, quand il voulut former les quatrièmes bataillons, on prit l’alarme à Berlin, et la guerre hanta de nouveau l’esprit des conseillers du roi, si ce n’est celui du souverain lui-même. Ils s’imaginèrent qu’ils n’avaient pas suffisamment écrasé la France et ils résolurent de reprendre l’œuvre de 1870, jugeant qu’elle n’avait pas été poussée assez loin. La presse soldée ouvrit la campagne. Un article publié dans un journal officieux, la Post de Berlin, dénonça à l’Allemagne les projets que l’on prêtait au gouverne-mont de la République, l’ardent désir du peuple français de prendre sa revanche, l’impérieuse nécessité qui s’imposait, à l’empire germanique, de prévenir ces sinistres desseins. En même temps, on interdisait l’exportation des chevaux. Ce thème devint bientôt celui de tout ; organe accrédité on Allemagne, et les appréhensions d’une lutte imminente envahirent les esprits les moins timorés.

Avant de précipiter l’événement, on voulut s’assurer la neutralité de la Russie. AL de Bismarck et M. de Moltke ne pouvaient se dissimuler qu’il leur serait impossible d’entraîner l’empereur Guillaume avant d’avoir obtenu cette précieuse garantie. On envoya, à Pétersbourg, M. de Radowitz ; ce diplomate, fort habile cependant, échoua dans sa mission. Il a été plus tard désavoué dans un intérêt facile à comprendre. « M. de Radowitz, a dit récemment l’ermite intempérant de Friedrichsruhe, n’a jamais été mon confident, car s’il a hérité, de son père, bien des qualités, il a hérité aussi l’habitude, bien funeste chez un diplomate, de trop