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l’intermédiaire de divers gouvernemens étrangers. Il faut l’avouer, M. de Bismarck, en cette solennelle occasion, ne s’est pas trompé de l’épaisseur d’une ligne. Tout s’est accompli selon son programme. L’exaltation se propagea en Allemagne avec la rapidité d’une traînée de poudre. Devenant d’Ems, deux jours après, le roi avait été accueilli, sur tout son chemin, par d’enthousiastes acclamations ; il débarqua à Potsdam, et, après un rapide conseil tenu dans la gare, il donna l’ordre de mobiliser l’année. En France, l’injure fut sentie aussi profondément que M. de Bismarck l’avait prévu, et le 15 juillet le ministère apportait aux Chambres la déclaration de guerre.

Mais il n’est pas moins avéré maintenant que cette guerre avait été, de longue main, préméditée par la Prusse et qu’elle est née de la duplicité de son chancelier. Habemus confitentem reum. Il avoue son méfait maintenant et sans détours ; il estime qu’il constitue son plus précieux titre à la reconnaissance de son pays et de son souverain. Un journal qu’il inspire, et qui est son organe avoué, écrivait naguère : « M. de Bismarck, en modifiant la fameuse dépêche d’Ems, en contraignant la France à prendre l’initiative de la guerre et à en endosser la responsabilité, a bien mérité de la patrie. » Il n’a pas cependant tenu toujours ce fier langage. Il en a changé selon les circonstances et suivant son état d’âme. Peu après le rétablissement de la paix, M. Liebknecht dénonçait, dans son journal, la forfaiture dont le chancelier s’était rendu coupable et que déjà l’on se murmurait à l’oreille ; M. de Bismarck fit traduire en justice l’écrivain socialiste, qui fut condamné à l’amende. Aujourd’hui les rôles sont renversés, et ce qu’il a contredit pendant plus de vingt ans, à l’aide des dénégations les plus solennelles, est une vérité éclatante de son propre fait. Cette vérité permet de penser que, si M. de Bismarck a droit au bénéfice de sa conduite, il ne saurait décliner le blâme qu’elle mérite, et l’histoire dira certainement autre chose : elle conclura, de ce fait maintenant bien établi, que les vaincus de 1863 et de 1866, que les Danois et les Autrichiens n’ont pas plus recherché la guerre que les Français, et que le gouvernement prussien a été, chaque fois, l’agresseur sans cause légitime, uniquement dans une pensée de convoitise. La réprobation de cette sanglante politique a devancé le jugement de la postérité. Les aveux de M. de Bismarck ont en effet soulevé un cri général d’indignation en Europe ; les Anglais, si longtemps dupes de son jeu, ont été blessés dans leur orgueil et ne lui ont pas dissimulé leur ressentiment ; des Allemands eux-mêmes ont senti « le rouge leur monter au front » en apprenant que la nation avait été indignement abusée.

Au surplus, de tous les événemens que nous venons